Ce n’est pas aussi connu que Paris – Texas, mais c’est un bon titre par Paul Junique
Une petite secousse, un gros bruit, quelques vibrations, le vol British Airways pour Venise vient d’atterrir.
Vous vous demandez peut-être ce que je fais à Venise ? Rassurez-vous, je ne vais pas suivre le cours de gondole 101. Je vais participer au Championnat du monde de ski de fond des maîtres. Et comme ça se passe dans le nord de l’Italie, Venise est l’aéroport le plus proche du site des compétitions. » Quel chanceux ! » Attendez de lire la suite, vous serez peut-être content d’être resté au Québec, dans la neige et le froid. Et puis, vous avez pu participer au Loppet Mont-Sainte-Anne. Moi non.
Carole est du voyage, on ne se quitte pas. Par contre, René Dufour [qui lui aussi participe] et Andrée, sa femme, ont raté l’avion et on n’a aucune idée de leur date d’arrivée.
Premiers pas sur le sol italien. Tout a l’air normal. Par pour longtemps…
Mon matériel de fartage s’est égaré dans le voyage. Personne ne sait quand il arrivera, mais ça prendra deux heures et beaucoup de papiers pour qu’on me le dise [avec le sourire]. Pas grave, gardons le moral et passons la douane.
Pour la location de l’auto, ça a été beaucoup plus rapide. Aucune trace de notre réservation. Il a fallu recommencer les formalités, le choix du véhicule etc. Encore une heure de palabres. On avait réservé un support à skis. Aucun n’est disponible. De toute façon, l’agent de location ne croit pas qu’on puisse mettre six paires de skis sur le toit du véhicule. S’il savait que René en a huit autres paires à rajouter, il refuserait de louer son auto. On a finalement eu une Fiat, juste assez grande pour qu’on y entre sans maigrir, et juste assez longue pour que les skis ne passent pas au travers du pare-brise.
En route vers Folgaria. Je devrais dire » en vol « , parce que sur les routes italiennes, on ne roule pas, on vole. Même les camions volent à 140. Ça ne prend pas longtemps pour se déplacer, mais ça stresse un peu… surtout quand on ne voit rien à droite à cause des skis et rien à gauche à cause des bâtons.
On s’est perdu, mais pas longtemps; la région n’est pas bien grande. Les routes sont belles et l’asphalte impeccable. Heureusement, parce que dans les treize derniers kilomètres [183 virages et un dénivelé de 14 %], huit autos m’ont doublé entre un précipice et une falaise. On a atterri à Folgaria dans la soirée.
À l’hôtel, aucune réservation à nos noms ni à ceux de René et Andrée. On commence à avoir l’habitude. Après une heure de discussion, la préposée trouve une réservation au nom de » René « . On saute sur l’occasion. Bonne surprise. Au lieu du » deux chambres – cuisine – salon » réservé, on obtient un » une chambre – cuisine – pas de salon « . Je reste optimiste. Pas pour longtemps… Il n’y a pas de literie, il fallait l’apporter. Et puis, on ne peut pas payer avec une carte, et puis il faut laisser 250 $ en dépôt. Quelle belle journée ! On a fait quelques achats au village, un bon souper et un beau dodo.
Samedi
Le moral est bon, le café aussi. Pas de message de René, on en profite pour aller chercher les dossards et les listes de départ au centre d’informations. Nouvelle surprise. Ma trousse de coureur reste introuvable et personne ne sait quoi faire. Peut-être qu’à l’Information touristique… peut-être que les officiels… peut-être que demain… En tout cas, revenez cet après-midi, on verra… Rassuré de voir que personne ne s’inquiète, on part pour Passo Coe, le site des compétitions.
C’est un plateau, en altitude [1 600 m], bien dégagé et parfaitement préparé pour les courses. Les pistes sont magnifiquement tracées et balisées. Et… surprise, il y a de la neige. C’est la première fois qu’on en voit depuis notre arrivée. Elle est tombée en décembre et depuis, plus rien. Voilà pourquoi toutes les vallées sont en plein printemps.
Il y a une boucle de dix kilomètres et une de cinq. En tournant plusieurs fois on fera le quinze, le trente et le cinquante kilomètres des différentes épreuves. C’est plutôt vallonné : petites montées, courtes descentes, aucune récupération. Techniquement, ce n’est pas difficile, mais physiquement, ça va être éprouvant. J’ai skié 15 km en observant les concurrents. Ça roule et ça roule vite, très vite même. Moi j’ai skié en français, mais les autres skient en allemand, en russe, en anglais, en italien; ça dépend de leur loi 101.
De retour au village, toujours pas de message de René. Normal, puisque la réception de l’hôtel n’est ouverte que de 9 heures à midi et de 15 heures à 19 heures. D’ailleurs, le pays au complet a les mêmes heures d’ouverture. Il va falloir s’habituer.
Vers 15 heures, des amis, qui sont dans un hôtel extraordinaire, puisqu’on y reçoit les messages entre midi et 15 heures, nous préviennent que René et Andrée ont enfin atterri en sol italien et qu’ils arriveront en train. J’irai les chercher ce soir. Ça a pris juste deux heures pour avoir l’horaire du train; l’ordinateur de l’Information touristique est un peu surchargé en ce moment.
Un peu de repos avant la parade et la cérémonie d’ouverture. J’en profite pour vous donner quelques informations :
- Les courses commencent à 9 heures en classique. Départs aux dix minutes, par catégorie.
- L’après-midi, à 13 heures, ce sont les courses de patin qui prennent la relève.
- Dans ma catégorie [M4], on est environ 140, moitié en classique, moitié en patin.
- La délégation canadienne compte environ 40 skieuses [skieurs].
- Le Québec fait belle figure avec quatre ou cinq participantes [participants].
- Je ne connais pas grand monde, si ce n’est Kathy et Rob Vellend, Claudia et Dick Van Dike, Suzelle et Peter Donitz. On se rencontrera souvent pendant notre séjour.
Stop ! C’est la cérémonie d’ouverture.
La rue principale est pleine. Le cortège commence par deux chevaux qui tirent une charrette avec des officiels. Suit un orchestre en costume traditionnel [style bavarois]. Viennent ensuite les déléga-tions, derrière leurs drapeaux. Tout le monde applaudit, faut dire que le village au complet s’est déplacé. Sur la place de la Mairie, les discours commencent. J’en profite pour donner mon drapeau à une petite fille et pour foncer vers la gare pour récupérer Andrée et René : 13 km de virages à l’allée, 13 km au retour; j’ai le mal de mer.
Enfin réunis, on est prêt à affronter l’Europe. Surprise, René a trouvé mes coffres de fartage à l’aéroport et les a pris avec ses bagages personnels. Personne n’a rien dit.
Fartage. Dodo.
Dimanche
J’ai conduit René à Passo Coe de bonne heure. C’est impressionnant un départ de Championnat du monde. Les coureurs font marquer leurs skis et rejoignent leur place de départ sur une des vingt traces aménagées. Tout ça en silence. Un silence lourd, inquiétant, pesant. Une voix italienne égrène les minutes et pan ! Ça part. Tout explose en même temps : la double-poussée, les cris de la foule, les caméras, les vidéos… Et puis une autre vague fait marquer les skis et ça recommence.
Pour me relaxer, je suis retourné au village manger un peu, calmer mon stress et flatter mes skis.
Vers 11 heures, je suis prêt à tester ma glisse. Pas mal. Je n’ai rien à envier aux autres coureurs. Mais la température monte dangereusement. René a eu des problèmes de fartage. C’est 8 °C, et on n’est pas habitué à gommer les skis pour de telles températures.
Ça y est, c’est mon tour. Me voilà sur la première ligne, neuvième trace. Le silence est angoissant, ponctué de murmures » bla bla bla De Zolt » » bla bla bla De Zolt « , en toutes les langues. Et oui, Maurillo De Zolt, le Maurillo des Jeux olympiques de 1995, est dans ma catégorie M4. Lui aussi est sur la ligne numéro un, dans la première trace, et il brille par son absence. C’est la vedette de ces championnats et son arrivée sera théâtrale. Six caméras l’entourent, la musique est tonitruante, la foule est en délire, les annonceurs épuisent leur collection de superlatifs : ce n’est pas De Zolt qui arrive, c’est le magnifique, l’extraordinaire, l’exceptionnel, le fantastique, le merveilleux De Zolt. N’oubliez pas, on est en Italie et De Zolt, il est Italien.
J’étais encore en train d’admirer le De Zolt, quand le départ a sonné. Aie ! Aie ! Aie ! Ça double-pousse tellement fort qu’au bout du plateau de départ, je suis cinquième, mais à moitié asphyxié. Avant même d’avoir amorcé mon two-skate, je suis trentième. Les Européens ça skient vite, très vite. Moi j’essaie de survivre et de ne pas lâcher avant la fin du premier kilomètre.
Comment on fait, à bout de souffle, avec les muscles qui brûlent, la tête qui ne commande plus rien et le goût de vomir pour ne pas arrêter ??? Mystère, mais j’ai continué.
Il fait 12 °C, on skie dans un liquide blanchâtre. Dans les virages, je fais des gerbes d’eau, comme en ski nautique. Mais ce n’est pas un bateau qui me tire, c’est la foule. Parce qu’en Italie, ce n’est pas comme chez nous, on ne se gèle pas, alors la foule peut assister et encourager. D’ailleurs, c’est une foule professionnelle qui encourage sans distinction de costume ou de nationalité. Elle encourage pour le sport, pour le compétiteur, pour le plaisir et ça aide parce que des inconnus qui courent à côté de toi en t’offrant de l’eau en italien, en slovaque ou en tchèque, ça stimule. Comme on n’est pas habitué à de belles manifestations d’amitié, j’en ai profité; j’ai ralenti.
Au quinzième kilomètre, j’ai commencé à remonter quelques coureurs. Impossible de skier technique : oublié le one-skate, oublié le two-skate, c’est trop mou dans ce paradis du offset. Mauvais pour moi qui ai échoué le cours de offset 201 de Fred au Camp des maîtres.
En passant, mon Fred, écoute bien ça et prend des notes. Les Européens ont un style différent du nôtre. Le transfert de poids, ils s’en foutent; la coordination, ils l’ignorent; l’élégance, ils ne connaissent pas. Ce qui compte, c’est le temps : 80 coups minute. Si tu tiens ça 2 heures 30, tu peux être dans les dix premiers. Autrement, tu fais comme moi : vingtième.
Dernière montée. Mon gourou est là, il s’est mis une grosse moustache et il fait des pizzas. C’est normal, on est en Italie. » Il te reste un kilomètre. Relaxe, les officiels ne sont pas encore partis. De Zolt a terminé, il est rentré chez lui depuis trente minutes, tu ne seras pas sur la photo avec lui. » Quel réconfort, aucune caméra ne m’attend.
À l’arrivée, un Allemand m’a serré la main, un Russe m’a embrassé, un Italien a crié mon nom et Carole m’a donné un énorme bec [bien meilleur que celui du Russe].
Douche, café et on fonce à la remise des médailles au centre sportif. C’est une belle salle avec des Norvégiens sous un drapeau norvégien, des Russes habillés en itinérants, des Américains en costume SWIX américain, des Suédois en costume SWIX suédois et d’autres nationalités en costume SWIX d’autres nationalités. C’est beaucoup trop long, on va souper.
Déception. Il n’y a pas de Da Giovanni ni de Pizza Hut au village, ce qui nous oblige à rentrer dans un restaurant italien pas connu pour manger des pâtes inconnues. La machine à faire les spaghettis est détraquée, les quatre sortes de pâtes qu’on a commandées sont plus recroquevillées et tortueuses les unes que les autres. Je vous passe les noms, elles ne sont pas importées au Québec. Dodo à 9 heures.
Lundi
Un petit tour au village. Café. Ce sont les filles qui courent aujourd’hui; on va les encourager… avec les mains parce qu’on ne sait pas crier en Letton ou en Tchètchène. C’est un bon repos actif qui prépare pour le souper de pâtes du soir. Kathy et Claudia ont fait de belles courses.
Je vais vous parler un peu du village.
Altitude : 1 300 m. Une rue principale, sans auto, avec de belles vieilles maisons peintes en couleurs pastel. Très propre, quelques restaurants, un ou deux magasins, une boutique de sport, deux banques, une église, la mairie, la poste, trois boulangeries – pâtisseries – bars – cafés, deux fontaines et des skieurs.
Le magasin de sport, on l’a visité en quête des secrets du fartage italien. C’est simple, pour bien farter, tu mets du Rhode [Made in Italy, évidemment]. On a acheté quelques klisters.
Nouveau repas de pâtes, mais avec des modèles différents, plus stylisés, plus complexes. C’est Andrée et Carole qui choisissent sur le menu. Elles ont le sens de la pâte. Elles dénichent toujours le modèle surprenant, avec une couleur futuriste et une sauce exotique. Et c’est moi qui termine les assiettes…
En rentrant, on a farté » Rhode » comme de vrais Italiens.
Mardi
René part tôt pour le 15 km classique. Ça ne marchera pas très bien. Le klister Rhode ne se laisse pas appliquer facilement par les nord-américains. Il faut une main d’expert pour engluer une semelle et ça se solde par des skis dégueulasses, sans grippe et une course désastreuse.
À midi, c’est à mon tour de partir pour Passo Coe. Il fait chaud. La température grimpera à 18 °C pendant la course.
Même position sur le plateau de départ. De Zolt arrive à la dernière minute avec les caméras, les cris, la musique et la foule en délire.
Pan ! C’est parti. Je suis sixième après le plateau de départ, vingt-quatrième après quelques minutes. Plus personne ne me doublera; j’ai décidé d’ouvrir la machine. Quelques skieurs me dépasseront, mais je les redouble aussitôt. Je dois arriver au plus vite si je veux être à l’arrivée pour prendre une photo avec De Zolt.
C’est comme pour la première course, mais plus chaud, plus mouillé, plus pénible. Les skis ne glissent pas, la technique ne sert à rien. Mais la foule est là et pour ne pas la décevoir, je vais continuer à me battre [avec mon envie d’arrêter]. J’espère secrètement qu’à Lake Placid, l’an prochain, il fera froid. On va voir si les Européens sont aussi à l’aise… Mon gourou n’est pas là. Sur le bord de la piste, il m’a laissé un message : » Suis à la piscine STOP Attention aux coups de soleil STOP Reste une pizzalfredo [ma spécialité] STOP « . Je n’ai pas faim.
J’ai franchi la ligne d’arrivée heureux de ma performance, mais parfaitement conscient qu’il y a beaucoup de maîtres meilleurs que moi. Au fait, dans mes deux premières courses, je suis premier Canadien. Pas mal. Mais si j’étais M6 [55-59 ans], j’aurais terminé neuvième dans chaque compétition. Pas terrible. Carole a pris une photo de De Zolt et moi. Il était content de poser à côté de mon beau costume. Faut préciser que si on n’est pas les meilleurs, notre bel habit Pearl Izumi est de loin le plus beau. Vous le connaissez : jaune – rouge et des bulles grises. J’ai eu de la misère à ne pas le vendre. Tout le monde en veut un comme ça. Quand je pense qu’au Keskinada ils voulaient qu’on mette des papiers collants pour cacher les lettres, un peu trop grosses…
L’après-midi, on a fait du tourisme. Les routes sont magnifiques avec des cols impressionnants et des points de vue ahurissants. Le soir, pour changer, on a souper dans une pizzeria pas connue mais excellente.
Mercredi
Tourisme dans les Dolomites. On a échappé à une avalanche qui a traversé la route quelques minutes avant notre passage. Si je passe rapidement sur les journées de repos, c’est parce que je ne suis pas là pour écrire un guide touristique sur la Vénétie, mais pour le ski.
Au fait, je ne vous l’ai jamais dit, un de mes grands-pères était Italien [du Sud] et quand j’étais petit, ça parlait italien à la maison. J’ai tout oublié, quelle honte ! Pourtant, quarante ans après, j’ai instantanément retrouvé les odeurs et les goûts qui ont marqué mon enfance. Les senteurs de repas, les effluves de cuisine, tout était entreposé dans mon subconscient, prêt à ressortir au premier » Buon giorno « . Alors vous comprendrez que mon tourisme, je l’ai fait avec le nez et les papilles gustatives beaucoup plus qu’avec les yeux.
Bref, on a passé une bonne journée.
Jeudi
On est parti skier dans un autre centre, mais après une heure de route tortueuse, on a échoué dans une prairie sans neige, devant un centre fermé. C’est donc à Passo Coe qu’on s’est entraîné.
C’est la journée des relais. René et moi on est bien contents de ne pas y participer. C’est épuisant avant un 50 km. D’autres Canadiens ont magnifiquement fait ça. Bravo !
Le soir, on a » déklistéré » les skis et après on a mangé des pizzas. Le choix a été long; il y en avait 71 au menu. J’ai choisi au pif : une pizza aux pommes de terre. Un désastre, parlez-en à Carole.
Vendredi
Veille du 50 km. J’ai fait un peu de classique, mais sans grande conviction; je n’arrive pas à farter convenablement. J’ai donc pris une décision qui s’avérera excellente. J’ai donné mes skis à un spécialiste farteur italien. C’est beau la confiance… Et le reste de la journée, je me suis reposé.
Samedi
Réveil à 6 heures 30, stressé, mais reposé.
Mauvaise surprise au départ. Les vagues sont aux cinq minutes et non aux dix mi-nutes. Je pars donc à 8 heures 15 au lieu de 8 heures 30. Et mes skis ne sont pas prêts.
Je les ai récupérés quatre minutes avant le coup de feu. Sans même les tester, je me suis aligné sur la première ligne, onzième trace. Maurillo fait la compétition de patin cet après-midi. Mon voisin de gauche, un Allemand, me reconnaît; il m’a rencontré à Canmore il y a deux ans. On a tout juste le temps de se serrer la main qu’il faut partir.
Ma double-poussée est dantesque, je suis le quatrième ou cinquième après le plateau de départ, mais quand mes skis ont quitté la trace pour toucher à la neige, j’ai arrêté net, stoppé par mes six couches de klister. Écrasé à terre, j’ai été piétiné par tout le paquet. Je me suis relevé derrière soixante-dix skieurs en folie. Gourou Fred est apparu : » Tu as l’air tout plat, secoue-toi un peu. Une petite pizza ? » Il arrive toujours quand je n’ai pas faim.
J’ai démarré tranquillement; 50 km c’est long.
La température est de 5 °C. Ça roule extrêmement vite dans les traces encore gelées. J’ai peur dans les virages. Le premier tour terminé, le mercure commence à monter et la piste se détériore rapidement. La glisse diminue de plus en plus. Pourtant, avec mon moral d’acier, je remonte tranquillement. La foule est moins dense, c’est tôt. Mais ça aide quand même d’être encouragé par des cris et des cloches, spécialement dans les montées qui sont maintenant impraticables. Les spectateurs, massés des deux côtés crient » Heg-Ah » pendant que tu grimpes. Sympathique ? Pas tellement. Plus tu montes, plus ils accélèrent le temps, plus tu t’épuises. On évolue dans une espèce de soupe et les skis disparaissent dans la » slush » qui recouvre le sol. Second tour sans problème. En fait, on fera un 45 km parce que la piste est trop abîmée pour faire plus.
Troisième et dernier tour. De plus en plus pénible. La chaleur est intense mais je suis en vingt-deuxième position. J’ai pensé à Georges Girard. Un jour il m’a dit qu’une course ce n’est pas seulement une compétition contre un adversaire ou un chronomètre, c’est aussi une ambiance, un état d’âme. Et c’est vrai, j’étais heureux. Heureux d’être en santé, heureux de suivre les meilleurs au monde, heureux d’avoir Carole qui m’attendait à l’arrivée, heureux de pouvoir forcer encore un peu jusqu’au fil d’arrivée, heureux des accolades données par des skieurs inconnus qui eux aussi sont fiers d’en avoir terminé avec les kilomètres.
La course de patin commence dans quelques minutes. Je vais alimenter René, Rob, Dick et les autres le long du parcours. Vous connaissez les pistes de Barry ? Ici c’est un peu pareil. On peut facilement voir les skieurs sept à huit fois sur un tour avec un minimum de déplacements. J’ai donc joué les porteurs d’eau tout l’après-midi. La température est maintenant de 15 °C et la piste est transformée en glissade d’eau. Entre les passages des compétiteurs et des compétitrices qui, elles aussi, sont en course, je crie, j’encourage, j’abreuve. Carole et Andrée font elles aussi le ravitaillement des amis et la navette des gourdes de jus sucré. Finalement, les skieurs auront raison de la piste et on s’est retrouvé, le Team Pearl Izumi au complet, pour la photo à l’arrivée.
Rendez-vous au banquet, après la douche.
Le banquet c’est la détente générale. Bien organisé. De longues tables accueillent les 1 200 participants pendant qu’un bataillon d’appétissantes jeunes filles remplit les assiettes. Impossible de converser, le bruit et la musique sont trop intenses. Mais le vin italien délie les langues et facilite les échanges interna-tionaux. C’est la fête : les Russes chantent, les Italiens dansent, les Français râlent, les Albanais viennent de se révolter, les Allemands mangent, et tout le monde boit.
Fatigués, on quittera la table avant le dessert. Un petit vent de tristesse souffle sur Folgaria. Demain, très tôt, les départs commencent.
Dimanche
Avec beaucoup de patience, on a réussi à entasser 14 paires de skis, 12 paires de bâtons, 4 gros sacs, 3 coffres de fartage, 4 petits sacs et 4 personnes dans la Fiat. Il reste un peu de place pour faire le plein d’essence. À 9 heures, on décolle via Venise. On respire chacun son tour et pour passer les vitesses, on ouvre les vitres.
À Treviso, on a arrêté dans un hôtel et pris le train pour Venise. Ça coupe le goût d’être romantique. Ça pue et on est coincé au milieu d’un million d’autres visiteurs. Pas question de se promener, on suit la marée humaine. C’est elle la guide touristique. Les bâtiments sont vieux, sales et mal entretenus et s’enfoncent tranquillement dans une eau boueuse et malodorante.
Tous les magasins à touristes vendent des masques et des poupées. Pas question de trouver une tour de Pise ou un Oratoire Saint-Joseph dans un globe de verre. Ça me déçoit beaucoup. Rapide passage à la place Saint-Marc. Pas un seul pigeon, il n’y a pas de place pour atterrir. La foule nous a ramenés au train de 19 heures 28. Une heure après, on dormait.
Lundi
J’ai abandonné l’auto à l’aérodrome, pris un dernier café et les vacances se sont terminées.
Une petite secousse, un gros bruit, quelques vibrations, le vol Alitalia pour Londres vient de décoller.
Avril 1997