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Nov
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Jeux de 2050 : Mais où seront les neiges d’antan?

Jeux de 2050 :  » Mais où seront les neiges d’antan ?  » par Rock Ouimet

Aux valeureux(ses) maîtres(esses) skieurs(euses) qui vous entraînez comme des spartiates, non dans l’espoir de gloire dans les catégories seniors ou vétérans des circuits de course, mais dans le but ultime et avoué de maintenir une forme physique à travers les années pour un jour performer dans la catégorie 100 ans et plus, vous êtes-vous d’abord posé cette question qui hante depuis quelque temps votre humble correspondant : y aura-t-il de la neige encore dans 50 ans au Québec ? Avec le réchauffement climatique prédit par les chercheurs, serons-nous restreints à faire en plein janvier des petits ronds en patin ou en ski (ou chaise ?) à roulettes sur les plaines d’Abraham, à pédaler sur nos vélos de montagne toute l’année dans les sentiers moites du parc du Mont-Tremblant ou dans l’Estrie, ou à transporter le Camp des maîtres, de la Forêt Montmorency à Chibougamau ?

Pour tenter de répondre objectivement à ces questions primordiales, votre professeur Tournesol a passé des nuits blanches comme neige à réaliser des simulations par ordinateur d’un modèle hydrologique qui fournit, entre autres, l’épaisseur de la couverture de neige qui s’accumule en forêt. Ce modèle utilise comme intrant des données météorologiques de base : température et précipitations mensuelles. Il a été calibré pour un bassin versant de la forêt de Duchesnay, près de Québec (Duchesne et al. 1996). En utilisant les données météo disponibles de la région de Québec, nous avons constitué une série chronologique allant de 1876 à 1995 pour estimer, grâce au modèle, l’épaisseur moyenne de la couverture nivale durant l’année. Pour évaluer l’impact d’un réchauffement climatique sur la couverture nivale, nous avons augmenté la température moyenne mensuelle de cette série chronologique de +2,5 °C.

Est-il vrai que la planète se réchauffe ?

La planète n’a gagné que 1 °C au cours des 1 000 dernières années. Cependant, au Canada la température moyenne annuelle s’est déjà accrue de 1 °C depuis les 100 dernières années. L’augmentation récente et continue des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, en particulier le CO2(Figure 1), entraîne un réchauffement d’une rapidité encore jamais enregistrée. Au rythme où s’accumulent ces gaz dans l’atmosphère, les modèles globaux de circulation atmosphérique prédisent qu’avec le doublement de la concentration actuelle en CO2 (passant de 300 à 600 ppm) qui se produira d’ici 50 ans (si on continue de se grouiller les fessiers, hein Léon ?!), le Québec méridional subira une augmentation de température annuelle moyenne de +2 à +4 °C (Environnement Canada 1997). Conséquemment, les hivers devraient être plus doux et les précipitations sous forme de neige moins abondantes…

Figure 1. Évolution de la concentration en CO2 de l’air entre l’an 1006 et 1978 mesurée à partir de carottes de glaces de Law Dome, Antartique (Etheridge et al. 1998).

La communauté scientifique s’accorde de plus en plus pour attribuer la hausse de la concentration des gaz à effet de serre à l’activité humaine. Sportifs de tout poil, vous suez trop ! En effet, est-ce que les sportifs qui possèdent un grand VO2max rejettent plus de CO2 dans l’air que ceux qui en ont un petit ? Si tel est le cas, devrait-on pénaliser ces gros pollueurs ? Leur donner un handicap (disons +5 minutes par 10 km) ? Avouons que ces réflexions soulèvent des questions d’éthique qui nous éloignent du sujet de cette chronique… J’y reviendrai un jour.

Impact d’un réchauffement de +2,5 °C

Je vous épargne ici toute description du modèle de simulation. Cependant, il faut mentionner qu’il n’a pas été construit initialement dans le but d’évaluer l’impact des changements du climat sur les processus hydrologiques. Après quelques modifications et de nombreux traficages maison apportés au modèle de simulation, je crois qu’il est l’un des rares modèles qui puisse fournir à ce jour une esquisse de réponse à notre question existentielle concernant la couverture de neige au sol.

La figure 2 montre deux courbes en forme de cloche. Elles représentent les valeurs moyennes estimées de l’épaisseur du couvert de neige au sol sur 120 ans sous couvert d’érablière dans la région de Québec. La courbe en gras présente le scénario normal, soit le régime de température historique; la seconde résulte du scénario où la température moyenne mensuelle a été augmentée de +2,5 °C (les quantités de précipitations totales demeurent inchangées pour les deux scénarios).

Figure 2. Épaisseur moyenne sur 120 années de la couverture de neige au sol dans une érablière dans la région de Québec sous le régime de température historique et sous un régime de température mensuelle accrue de +2,5 °C.

Le modèle indique qu’en moyenne l’épaisseur maximale de neige au sol, en mars, passerait de 115 à 69 cm, soit une diminution de 39 %. Adieu bancs de neige qui nous accueillaient si moelleusement en bas des côtes, on a affaire à améliorer son style sur la dure si on veut avoir des chances de se rendre en 2050 !

D’après le modèle, la période avec couvert de neige au sol en forêt à Québec serait réduite d’environ deux semaines en automne et au printemps. Ce qui laisserait quand même, soyons optimistes, une saison de ski d’environ 14 semaines comparé à environ 18 semaines actuellement pour les professionnels de la fardoche (sur une base minimum de 20 cm de neige au sol).

Évidemment, il faut prendre avec un grain de sel (ou un flocon de neige !) ces prédictions en raison de la modélisation encore grossière de certains processus, en particulier celui qui contrôle la proportion de la précipitation incidente qui tombe sous forme de neige. Dans le modèle actuel, ce processus n’est contrôlé empiriquement que par la température, alors qu’en réalité il dépend aussi, entre autres, des masses d’air en circulation et de leur provenance. Le verglas par exemple, ça vous rappelle quelque chose ?

En guise de conclusion, cet exercice nous fait prendre conscience de l’impact potentiel d’un réchauffement du climat, fut-il modéré, sur notre vie de skieur. Les deux derniers loppets au mont Sainte-Anne nous en ont donné un avant-goût. D’un côté pratique, déménager dans l’Ouest à Rogers Pass serait une solution. Une autre consisterait à verser dans l’art de structurer les skis et dans l’application des farts au fluor. Mais attention, ce dernier produit est sur ma liste d’examen environnemental, victime attendue d’une prochaine chronique dans votre bulletin préféré.

Références

Etheridge D.M., L.P. Steele, R.L. Langenfelds, R.J. Francey, J.-M. Barnola et V.I. Morgan 1998. Historical CO2 records from the Law Dome DE08, DE08-2, and DSS ice cores. In Trends : A compendium of data on global change. Carbon Dioxide Information Analysis Center, Oak Ridge National Laboratory, Oak Ridge, Tenn., É.U. (http://cdiac.esd.ornl.gov/trends/co2/lawdome.html).

Environnement Canada 1997. L’étude pan-canadienne.Tome V. Impacts et adaptation à la variabilité et au changement du climat au Québec. (http://www.ec.gc.ca/climate/ccs/que_resume.htm).

Duchesne, L., R. Ouimet, H. Houle et R. Paquin. 1996. Modélisation des flux hydriques et thermiques à l’intérieur de l’écosystème forestier du bassin du lac Clair de la station forestière de Duchesnay. Gouvernement du Québec, Direction de la recherche forestière, ministère des Ressources naturelles, Rap. Int. n° 414. 17 p.

Novembre 1998

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