50 km + ElNiño= Ski, Nagano PQP par Jacques Dumont
Le 1er mars 1998, la troisième édition du Loppet Mont-Sainte-Anne, près de Québec, attendait ses concurrents et concurrentes. Ce loppet remplace le » regretté » loppet du Grand Fond. C’était un loppet en style classique du Camp Mercier au Mont-Sainte-Anne, 65 kilomètres d’interminables montées et descentes dans la Réserve faunique des Laurentides et le Parc du Mont-Sainte-Anne où, année après année, les participants avaient la quasi certitude de prendre le départ par -20 à -22 °C et perdre 80 % de leur fart de prise [généralement du vert spécial] dans une des deux descentes infernales du parcours. Mais voilà, on déboise trop dans ce coin d’arrière-pays et les organisateurs ont dû se résigner à tenir un 50 kilomètres sur les pistes de ski de fond du Mont-Sainte-Anne. Moins pittoresque, moins casse-cou, le nouveau Loppet Mont-Sainte-Anne est différent, mais n’en demeure pas moins une course aux défis intéressants pour les amateurs de longue distance.
Je suis donc parti, la veille, de Hull pour y prendre part, de même que d’autres maîtres-fondeurs de l’Outaouais. Il y avait Yves Deguire, Chantal Métivier, Gilbert Marois, Daniel Girouard et moi-même, inscrits au 50 km classique et puis, Éric Lévesque, Dany Béliveau, François Allaire, Claude Laramé et Yves Lafrenière, inscrits au 25 km libre. Nous nous étions donné rendez-vous au chalet du rang Saint-Julien au Mont-Sainte-Anne. Et El Niño dans tout cela ? Eh bien, après avoir perturbé le Keskinada Loppet, disons qu’il continuait de faire des siennes, car on annonçait un réchauffement des températures inhabituel pour ce coin de pays et ce temps de l’année. Cela n’avait rien pour apaiser notre hantise à tous : le fartage ! Fallait pas le manquer sinon on ne vaudrait pas cher à l’arrivée, d’où l’importance d’essayer les skis et le fartage avant la course. Une fois arrivé au Mont-Sainte-Anne, je pouvais déjà constater les effet d’El Niño : route sur pavé sec, bancs de neige sales et rabougris, inhabituels avant avril-mai au village de Saint-Ferréol-les-Neiges.
J’ai rejoint les copains comme prévu au chalet principal et nous sommes allés faire nos essais. Une seule conclusion s’imposait : fart de glisse au fluor et klister. Mais lesquels ? Voilà la question. Partirions-nous sous 0 °C ou au-dessus ? Mal de tête, multiplié par le nombre de paires de skis qu’on a apportés. Chacun fit son ou ses choix et nous nous mîmes à l’œuvre avant d’aller souper au condo. J’ai opté pour » Swix F20 » pour la glisse et klister » Toko orange » pour la prise. Tout en fartant, chacun allait voir les autres pour se rassurer qu’il n’était pas à côté de la » track « . J’avais presque terminé lorsque Éric me tendit son contenant de poudre » Cera-F » en me disant : » Tiens, mets ça, c’est ce qui va glisser le plus « . Venant de la part d’un des meilleurs glisseurs au Québec, c’était difficile à mettre en doute. Je m’exécutai et appliquai ensuite de la structure à la base. Tous décidèrent d’attendre au lendemain pour appliquer le fart de prise sauf moi. J’appliquai mon Toko orange, car j’avais peur de manquer de temps avant le départ à 8 heures.
Au condo, nous avalâmes l’incontournable souper de pâtes préparé avec soin par Chantal. N’allez pas croire qu’El Niño nous a rendus » machos » ! Mais sur cet aspect de la préparation à la compétition, Chantal est convaincue que l’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Dodo à 10 heures, réveil à 6 heures. Une bonne nuit; je n’ai entendu personne ronfler et personne ne m’a entendu » miauler « .
Le matin de la course, El Niño fait encore des siennes : le mercure est au-dessus de 0 °C et il tombe une fine bruine. Les lunettes restèrent dans le sac et je mis ma visière. Sur l’aire adjacente au départ, c’était la frénésie des skieurs et skieuses qui fartaient ou refartaient. Mes skis étaient déjà prêts, je le croyais. Je passai devant la tente Swix où deux » Messieurs Swix » donnaient leurs conseils et fartaient les skis de ceux qui le voulaient bien. J’aperçus leur outil à rainurer, un superbe appareil en inox avec deux couteaux cylindriques. Mon petit outil Toko en plastique jaune, avec trois côtés sur quatre de cassés, utilisé la veille, m’apparut tout à coup inadéquat. Je m’empressai de faire rainurer mes skis par le technicien Swix. Soulagement. Je passai ensuite devant la tente Toko où je demandai au » Monsieur Toko » quelle était sa recommandation pour la prise. Réponse : klister Toko multigrade -1 -6 recouvert de klister Toko orange. Malheur ! Je n’avais mis que du Toko orange. » Que dois-je faire, demandai-je ? » » Recommence. Prend un bon grattoir et enlève ton orange, mets de la multigrade puis de l’orange. Tu vas voir, ça s’enlève bien. »
Oui, oui, je me précipitai à la voiture pour prendre mon coffre de fartage, mais rendu là… » de la M… !, un instant ! » Le bon sens me revint et comme je dis souvent que la première idée est la meilleure, les skis restèrent tels quels mais je glissai un tube de klister rouge dans la poche de mon lycra, au cas où. Je m’échauffai mieux au lieu de refarter.
Et puis, c’est le départ. » Hum ! Ça dérape un peu. Attendons quelques kilomètres. » Dans la boucle du camping, ça ne glissait pas, je m’essoufflais. Probablement les conditions de neige molle, un départ trop rapide et surtout un entraînement moins poussé que par les années passées, mais le cerveau disait : » Maudite poudre ! Ça ne marche pas. » Puis le second souffle arriva et je me rendis compte que ma glisse était meilleure que la plupart des skieurs de mon peloton. Je dérapais toujours un peu, et à ce moment ça allait, mais je devrais sûrement refarter avant les grandes montées des derniers 25 km. Au 25e km, j’enfilai deux traces de klister rouge sous chaque ski. J’avais perdu des positions mais je les rattrapai vite avec mon nouveau fartage. Puis, El Niño ! Encore ! Avec cette fois-ci de la pluie ! Elle n’arrêtera qu’une heure après la fin de ma course.
Je continuais à remonter des skieurs. À l’approche de l’un deux, je l’entendis qui pestiférait : » Maudite pluie, maudites lunettes « , puis d’un coup de rage, il lança ses » Briko » dans la forêt. Je regardai les lunettes, j’hésitai… trop loin, je perdrai trop de temps à les récupérer, j’ai continué. Il pleuvait de plus belle, mais avec la » Cera-F » j’avais une glisse du tonnerre. Merci Éric. Je dû quand même me rendre à l’évidence que je n’avais pas suffisamment de klister rouge, les montées deviendraient plus prononcées et plus difficiles. J’arrêtai une deuxième fois et ne lésinai pas sur le rouge. » Aie ! » Pendant que j’avais le pouce sur le klister, la première femme me doubla. Il aurait bien fallu cinq à six tubes de rouge pour coller par terre mon orgueil. Je l’ai vite rattrapée, ainsi que tous les autres skieurs qui auraient dû, comme moi, perdre cinq minutes et refarter. Je skiais alors à mon meilleur et l’énergie ne manquait pas. Les dernières montées apparurent interminables. Un dernier coup de cœur pour franchir les derniers kilomètres, et voilà : 3 h 30 min 43 s, mais pas de spectateurs pour encourager ou applaudir, à cause d’El Niño. J’étais trempé mais satisfait.
Après avoir enfilé des vêtements secs, pris un bon repas, s’être raconté, chacun, entre amis les hauts faits de notre course, le dégommage des skis s’imposa avant de les ranger dans l’auto pour le retour. À bien y penser, du Klister rouge recouvert de klister argenté, ça aurait été parfait. Au prochain rendez-vous avec El Niño.
Mai 1998
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