Le camp des » jeunes » par Paul Junique
Quelques flocons, entrevus dans le faisceau d’un phare, quelques plaques de neige sur les bords de la route, il en faut peu pour remonter le moral d’un maître en route pour le camp d’entraînement annuel de la Forêt Montmorency. Après cinq heures au volant, je coupe le moteur; on est arrivé.
Le comité d’accueil est parti se coucher. Je les comprends, il est tard et la première journée a dû être fatiguante. Sur une table, deux clés. L’une est à mon nom. Michel Bédard veille à tout, il a prévu que la route serait longue pour ceux qui arrivent de Montréal.
Mille excuses, skieurs endormis, j’ai vraiment essayé de rentrer mon matériel en silence. J’ai pourtant cogné mes skis sur deux ou trois portes. Pardonnez aussi la chute du coffre de fartage [lui, il a réveillé au moins cinq ou six chambres]. Quant aux grincements de lit, soyez rassurés, j’ai dû m’adapter à un sommier trop mou. Quelques minutes après l’extinction de la lumière, les premières douches se sont mises à couler et il a fallu se lever. Le petit déjeuner et les amis attendaient… J’ai reconnu les premiers maîtres derrière leurs brosses à dents, les yeux un peu plus plissés et les cheveux beaucoup plus hirsutes qu’à l’ordinaire. Il y en a même un qui portait déjà sa tuque.
À la cafétéria, entre l’odeur du café et celle du pain grillé, j’ai senti l’hiver. C’est là que le social a commencé. Avant d’atteindre le bol de gruau, j’ai serré de nombreuses mains. Rendu au distributeur de café, je connaissais par coeur les conditions de ski de la veille. Le plus dur fut d’atteindre une chaise, le plateau en équilibre instable dans une main, l’autre main saluant les amis retrouvés.
Quel plaisir de revoir ceux du Lac-Saint-Jean, ceux de Rimouski, ceux de Gatineau, ceux de Québec, ceux de Montréal et les autres… J’en oublie que dans quelques minutes on va enfin skier.
Après les œufs, le bacon, les saucisses, le gruau, les muffins, la banane, le café et les céréales, je vais avoir des problèmes pour avaler les kilomètres.
Au menu : style libre. L’entraîneur a été clair, on doit skier en zone 1 [ça veut dire qu’on peut parler en skiant, ou skier en parlant, comme vous voulez]. Mon programme a été savamment dosé par Stéphane, le « coach », qui depuis quelques années me bichonne, comme plusieurs autres de ses poulains; pas question d’y échapper.
9 heures, c’est parti. Et avec qui d’après vous ? Alfred Fortier, vous avez deviné. On est inséparable [en ski bien sûr]. Il roule devant, moi derrière. D’ailleurs, j’aimerais bien qu’on soit séparable, ça me permettrait de le doubler de temps en temps.
Beau temps couvert, assez doux avec une piste de bonne qualité. Ça glisse bien. On croise plusieurs maîtres studieusement appliqués à parfaire leur skating ou leur stawag, leur équilibre ou leur glisse… Ça va durer jusqu’à midi notre petit train de skieurs qui, de temps en temps, lâche un maître, en raccroche un autre, en double quelques-uns, en croise d’autres. Tout le monde a l’air heureux, concentré sur un équilibre oublié pendant l’été. Ça roule en one skate, en two skate, en offact [heureusement que je parle français].
C’est la faim qui nous a finalement ramenés à la cafétéria. Chacun y racontera ses exploits de la matinée devant une montagne d’assiettes. Il est temps de parler technique, fartage, matériel, projets et j’en oublie…
Les maîtres [ça veut dire : jeunes de 30 ans et plus], c’est une grande famille. On se connaît quasiment tous, et depuis le temps qu’on use nos planches sur les mêmes pistes, on en a long à se raconter dès qu’on est réuni.
Après le social, en regagnant ma chambre, deux caisses de vin m’ont bousculé. C’est Gaétan et Gaston qui arrivent.
13 heures 30, on repart pour l’après-midi, histoire de digérer. La fatigue s’est manifestée vers 16 heures, on a trop parlé pour une première journée en ski. Malgré l’entraînement d’automne, c’est dur de se remettre à discuter sur neige. Ça va prendre quelques sorties avant de reprendre le temps d’hiver.
On rentre pour la douche. La chance me sourit; je suis le premier après le dernier qui ait eu de l’eau chaude.
Un peu de repos avant le souper. J’en profite pour la séance d’étirements. Très important les étirements; c’est le « coach » qui l’a dit [c’est une préparation pour que ça fasse moins mal quand on se casse la figure dans une belle descente]. Au fait, j’aurais pu aller me faire masser [mais ce n’est pas marqué sur ma feuille d’entraînement].
Souper : même scénario qu’à midi. On empile la nourriture dans un plateau, on s’assoie et on jase : de ski bien entendu. J’ai tout juste le temps d’essuyer le morceau de gâteau à la crème qui est tombé sur mon chandail, il faut aller au plus vite à l’atelier de fartage.
Monsieur Toko est là, tous farts dehors. Très intéressant. Je découvre avec stupeur que mes trois coffres sont totalement incomplets. Je n’ai ni le papier collant Toko, ni les quatre brosses Toko, ni les trois grattoirs Toko, ni l’outil Toko pour affûter les grattoirs Toko, ni la lime Toko pour affûter l’outil Toko qui sert à affûter les grattoirs Toko, ni le coffre de rangement Toko pour protéger les outils Toko. Je suis quand même rassuré, c’est parce que je n’ai pas de skis Toko que je suis toujours deuxième [ou plus].
Réconforté, j’ai regagné ma chambre parce qu’à 8 heures 30 j’ai décidé de m’endormir.
C’est encore la douche qui m’a tiré de mes rêves, au moment où je doublais Fred sur une ligne d’arrivée. J’ai été disqualifié; je n’avais pas fait marquer mon rêve avant le départ.
Au petit déjeuner une décision importante s’impose : « To ski classic or not to ski classic ». Il fait doux et personne n’a envie de mettre de klister. Pour compliquer les choses, on doit faire vingt minutes de course dans le cadre de notre entraînement. La décision est unanime, on fait du patin.
À 10 heures, on est une dizaine au départ [des membres d’IMCO, plus quelques maîtres héroïques qui veulent tester leur cardio]. La piste est molle, ce qui n’empêche nullement Fred et Gaétan de partir comme des bombes pour vingt minutes d’efforts.
Je me suis amélioré cet automne; je termine exactement avec le même temps que les deux premiers : 20 minutes.
La matinée s’est terminée par des crampes d’estomac. À table, vite. Mon plateau à la main, j’ai repéré ma nutritionniste préférée, Pierrette, juste derrière moi. Je me suis donc combiné un menu des plus sains, histoire de bien paraître. Pas de frites, un verre de lait, un seul dessert, une pomme et une banane, une petite portion de spaghettis. J’ai l’air » alimentairement correct « . Dès qu’elle a été hors de vue de mon plateau, j’ai ramené la pomme, la banane et le lait en échange d’une assiette de frites, d’un café et de deux beaux gâteaux bien sucrés.
Après-midi en style libre. C’est vrai qu’il est libre mon style, j’ai l’impression que les skis ont totalement désappris les mouvements acquis l’an passé.
L’entraînement prévoyait une petite journée. J’en profite pour rentrer vers 15 heures 30, des fois qu’il resterait de l’eau chaude. Après les étirements de rigueur, quelques connaisseurs se sont réunis pour faire le bilan de la journée.
Gaétan, Carole[s], Fred, Gaston, Henry, tous ont apporté leur vin maison et la dégustation commence. C’est l’œnologue de Stoneham qui commente entre deux gorgées. Son savoir est immense, son vocabulaire ésotérique au possible, son tire-bouchon rapide comme un ski farté au Céra F.
Le repas a été très détendu. C’est étonnant comment un abus de ski peut rendre les yeux brillants et la langue engourdie. Je n’ai assisté à aucun atelier. Je réserve mon énergie pour applaudir les médaillés du Championnat des maîtres 1994. Bravo, on est tous fier de vous.
Avez-vous fait un petit arrêt au Salon du ski. Idée géniale. On peut enfin, en quelques minutes, voir tous les skis, de toutes les marques, y compris les skis allemands en fibre de carbone et ronds sur le dessus. Il faut une pièce spéciale pour adapter la fixation, mais personne n’a pensé à la pièce spéciale pour les coincer sur un banc de fartage.
La dégustation de vin, orchestrée par le maître de chai de Stoneham, vaut un petit arrêt. Le » Bédard Novello « , directement tiré des vignes de notre cher Michel est une merveille : arôme rustique, bouquet aéré, robe soutenue, puissant en bouche, charnu. Quant au vin de framboises ou de fraises, je ne me souviens plus, les mots me manquent : un vin structuré de bonne tenue [il tenait au moins cinq caudalies], à la robe fraîche, élégant, couronné par un arôme exubérant.
En regagnant ma chambre, j’ai pratiqué mon équilibre, mais ce n’était pas fameux.
C’est encore la douche qui m’a réveillé. Les » lève-tôt » sont propres.
Dernière journée. Il fait doux et on n’échappera pas au klister. On a encore un vingt minutes de course, en classique cette fois. Le fartage doit être de qualité.
Avant d’aller beurrer mes skis, je me renseigne auprès des spécialistes : klister Toko, ramolli avec le fer Toko, étendu avec une brosse Toko, sur base sablée au papier Toko. Je vais être imbattable. Pas tout à fait. Fred a lissé son klister avec un pouce Toko et Gaétan s’est chronométré avec une montre Toko. Les deux ont été avantagés, je suis troisième. Aucune importance, je vais m’équiper; attention pour les prochaines courses…
La faim se fait sentir. J’ai vu, au petit déjeuner, une des cuisinières remplir des pâtisseries avec une crème onctueuse. Dès que j’ai raconté ça, les pistes se sont vidées et la cafétéria s’est remplie.
Le départ est proche. Un petit vent de tristesse commence à souffler. Les premières chambres se vident, les premières autos s’en vont. J’ai attendu le retour de Carole, elle a voulu skier encore un peu, et je suis parti un des derniers.
Les maîtres, c’est comme une famille, ça commence à manquer dès qu’on n’en a pas autour de soi.
Alors à bientôt. Revenez vite sur les pistes.
Bon ski.
P.-S. : Rendons à Léon ce qui appartient à Léon. C’est lui le papa du Duathlon du Mont-Sainte-Anne, et non Pierre.
Janvier 1995
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