Championnats canadiens des maîtres de Labrador City : des championnats chocolat par Jean St-Hilaire
Le réflexe n’y est pas. Même chez le fondeur. Il faut charmer ses spatules, traficoter leur code » génétique « , pour qu’elles consentent à nous emporter vers le nord. Ce n’est pas la banale peur de l’inconnu, c’est la peur de l’inconnu froid.
Championnats canadiens des maîtres, au Club de ski nordique Menihek, à Labrador City, du 24 au 29 mars dernier. Nous sommes 77 au rendez-vous, dont 23 femmes. Des » sudistes » pour la plupart. Terre-Neuve, la province hôtesse, engage 28 participants, l’Ontario 14, le Québec 12, le Nouveau-Brunswick 11, la Colombie-Britannique 6, l’Alberta 3 et l’Ile-du-Prince-Edouard 1, Paul Wright, le directeur… et unique membre de sa province, excellent compétiteur par ailleurs. Deux glisseurs du Maine sont aussi de la galère.
Le contingent québécois recrute au diable vauvert. Richard Arsenault et sa moitié, Adrienne, font le déplacement depuis Gaspé, par la route, après un crochet par Québec. Le couple Yves Deguire-Chantal Métivier [Hull] et Brian Thorp [Chelsea] partent de l’extrémité ouest de la province, de l’Outaouais. À quelques double-poussées de sa 82e année, le doyen Georges Girard rallie le Labrador à tire d’ailes, tout comme Gaétan Beaulieu, qui se joint à Sept-Îles à la » Garlic Connection » formée de trois gars du coin, Paul Lebel, Alain Plante et Camille Thériault. Escale stressante pour le Grand… Ses bagages font tiquer les préposés à l’embarquement. On le soupçonne de commerce illicite de bois de chauffage, ou de quelque méga-traffic de scapulaires. A beau qui vient de Sainte-Anne-de-Beaupré… À bout de palabres, l’oiseau vous emporte la congrégation et tout le saint-frusquin à destination. Pendant ce temps, le vétéran Robert Giguère, notre directeur provincial Pierre Bernatchez et votre serviteur font route par le tire-bouchonnant tronçon de Baie-Comeau-Manic 5, les raidillons des Monts Groulx et les eskers de Mont Wright. Mille kilomètres. De douze à treize heures de jazz. » Une équipe équilibrée « , proclame notre PB national. Ouais… un champion et deux picouilles! Une 4 X 4 nous accompagne à bord de notre 4 X 4. Calende chocolat, phares chocolat, carosserie chocolat, c’est Tara, la chechienne labrador pas toujours chocolat de notre Pierre. Comme le mode d’emploi n’est pas écrit sous la queue, nous nous disons, Robert et moi, que c’est son analyste. Et de fait, elle emmène notre directeur en consultation trois fois pas jour et nous le ramène ragaillardi. Dommage qu’elle s’y connaisse moins en fartage…!
Mais toutou et Miles Davis ne nous y trompent pas, la nature régit tout ici. De Manic 5 à Mont Wright, pas âme qui vive, exception faite des quelques motoneigistes déshydratés qui refont le plein au relais Gabriel. Trois-cent vingt-cinq kiomètres qui s’étirent sans fin entre forêt boréale et taïga. Accostons à Fermont à 0 h 30, fourbus.
Reconnaissance au matin de notre vraie destination, le Menihek. Le passage au secrétariat de la course nous en dit vite long sur la décontraction de nos hôtes. Roland Michaud est malade et ne peut être des nôtres, apprend-t-on au préposé, Frank Darrell. Il disparaît sans mot dire et revient une couple de minutes plus tard avec les 80 $ de son inscription. Ça ira comme ça tout au long de la semaine, en souplesse, gentillesse et chaleur. De bois rond, le chalet du club fait un lieu très convivial, étonnamment familier pour nous, Québécois, avec ses photos laminées de Pierre Harvey, Yves Bilodeau et Jocelyn Vézina.
Le premier contact avec la piste nous voit plus sur la défensive. Non qu’elle ne soit bien dessinée et entretenue et que la nature n’y soit magnifique. Elle se profile à flanc d’une montagne au chevet d’un lac, dans une manière de cuve dont le micro-climat fait des prodiges à cette latitude. On y trouve des épinettes noires d’un gros 60 cm de diamètre. Plateau de départ et un court tronçon en bordure du lac exceptés, on skie partout à l’abri des vents. Non, ce qui nous refroidit, c’est la montée têtue qui, du 600e mètre aux 4 km, sera notre menu quasi quotidien, les championnats se déroulant pour l’essentiel sur une piste de 10 km conçue par Bill Koch. M’enfin, le petit coup de froid l’intimide que les » gros cardios » porteurs d’un régulateur de croisière, et j’ai nommé notre Caillou Bernatchez et cézigue. Du quatrième kilomètre à l’arrivée en revanche, c’est beaucoup plus démocratique. Technique dans le Koch’s Delight [une couple de bosses nous déposent sur un S : perte de dénivellée de 50 m sur 600 m], mais d’un tracé logique, sécuritaire et des plus grisants.
Nous voici au 30 km, le lundi 24. Soleil, neige et air à -10 °C. Gaétan part en lion en M3 et l’emporte en 1 h 47 min 45 s, neuf minutes devant Paul Wright. Mais au chrono, le coq du jour est ontarien, Paul Inkila, de Thunder Bay. Vainqueur en M2, il met un peu plus de deux minutes de moins. Alain Plante fait deuxième [1 h 54 min 25 s] cependant qu’en M1, Yves Deguire [1 h 58 min 39 s] et Brian Thorp [2 h 03 min 31 s] terminent troisième et sixième dans l’ordre. En M4, où le héros de la place, Alfie Parsons, s’impose en 1 h 47 min 24 s, Paul Lebel termine sixième en 2 h 5 min 8 s, un rang mais deux jours-lumière devant votre serviteur [2 h 28 min 39 s]. En M5, entrée sénatoriale de notre Pierre B. qui fait durer le plaisir 2 h 48 min 56 s [cinquième]. En M6, Richard Arsenault [2 h 5 min 19 s] touche le bronze derrière l’Acadien Gabriel Aubé et le Terre-Neuvien Jack White, notre nouveau directeur national.
Ces dames et les 60 ans et plus se produisent quant à eux sur 20 km. Chantal Métivier se classe troisième [1 h 29 min 56 s] d’une course relevée en F2. Robert Giguère commence sa razzia des titres des M8 en l h 26 min 35 s, tandis que notre Georges (Girard) fait de même en M10 [3 h 3 min 32 s] en dépit d’une hanche récalcitrante.
Relâche compétitive le lendemain. On nous propose en lieu et place un bain de culture et de géographie économique labradoriennes entrepris au matin par une visite de la mine à ciel ouvert de l’Iron Ore. Nous voici dans un paysage titanesque de montagnes décapitées et allégées ce jour-là de 109 000 tonnes de minerai. Première parmi les exploitations canadiennes du genre, 1 750 employés, une flotte de camions surdimensionnés d’une capacité de 200 tonnes, soit l’équivalent de 400 charges de » pick-up « ; un réseau de chemins de 110 km, un chemin de fer pour acheminer le minerai à l’usine de concentré et de boulettes, en contrebas, et de là à Sept-Îles. Un nouvel actionnaire majoritaire, australien, et des réserves pour 50 ans. Au soir, » screech in « , soit élévation à la dignité de citoyen honoraire du Labrador au fort attrayant centre culturel local. Le rituel s’apparente à celui pratiqué à Terre-Neuve. Très folkorique, en tenue de pêcheur, hilarant quoique pas toujours facile à décrypter dans son anglais entortillé des » outports « , l’officiant pérore, vous soumet à une courte épreuve langagière, vous fait bécoter la morue — avec ou sans préservatif, c’est au choix — et vous bénit de sa rame. Une rasade de rhum, moins gargantuesque que sur l’île, fait passer l’arrière-goût. Ils étaient une douzaine à nous représenter ce soir-là, dont Lise Bégin-Langlois, la déléguée technique. Elle n’a pas fait de chichi avec la morue. Ni avec le rhum! La cérémonie s’est déroulée à l’entracte d’un concert des Labrador Black Spruce, un ensemble fort honorable qui fait dans la » folk ballad » et le » folk rock « .
Dix [femmes et hommes de 60 ans et plus] et 15 km style libre le lendemain, par -2 °C et neige légère. Gaétan et Robert continuent de planer sur leur catégorie. Comprimons la litanie : Chantal troisième en F2 [40 min 5 s], Georges met 1 h 43 min 19 s en M10 et Robert l’emporte en 43 min 7 s, par trois minutes et demi sur son rival et par ailleurs bon ami Karl Kinanen. Sur 15 km, Yves est deuxième [53 min 22 s] et Brian quatrième [55 min 31 s] en M1; Alain se fait chiper l’argent par une seconde en M2 [51 min 24 s]; Gaétan s’impose par cinq bonnes minutes en M3 [50 min 51 s]; Paul est cinquième [58 min 33 s] et cézigue septième [1 h 14 min 3 s] en M4; Pierre sixième en M5 [1 h 10 min 28 s] et Richard quatrième en M6, à quatre tic tac du bronze. Au soir, copieux et animé banquet aux pâtes et aux mets chinois dans un restaurant de la ville.
Combiné le lendemain. Ces dames font deux fois une piste de 2,7 km, les hommes deux fois 4,1 km, en classique d’abord, en libre ensuite, si possible. Sur le plateau de départ, deux billots barrant la piste délimitent une zone d’échange de 30 m, qu’il faut parcourir skis en main. Attention au tronçon de raccord, il est pas piqué des vers… avait dit en substance Gaétan, au banquet. » Y’a rien là ! » l’avait-t-on rabroué cavalièrement. Le crac avait accusé le coup humblement : » J’dis ça juste pour vous être utile « . Effectivement, l’évidence sous les pieds, nous reconnaissons que la présence d’un cartographe en sortie de reconnaissance n’eut pas été un luxe… Avons tourné trop en amont… Le tire-bouchon, messieurs dames!… On en sort tous plus ou moins loucheur. Certains font la génuflexion, d’autres de la liquéfaction, mais à l’arrivée, tous conviennent que ce genre de course, très ludique, commande reprise.
Au détail : Yves deuxième [27 min 23 s] en M1; Alain deuxième [27 min 5 s], à trois secondes de Paul Inkila en M2 ; Gaétan premier [26 min 49 s] en M3; Jean cinquième [37 min 54 s] en M4; Pierre quatrième [39 min 41 s] en M5; Robert premier [33 min 48 s] et Chantal deuxième [20 min 25 s] en F2, cependant que Brian, Camille, Georges et Paul sont forfaits. Neige légère, -3 °C.
Au soir, petite fête fort sympathique au chalet de ski alpin voisin du centre de ski de fond. On y sert de la saucisse de caribou — succulente — et de la musique traditionnelle du Labrador et de Terre-Neuve : Jack Was Every Inch a Sailor, We’ll Rant and We’ll Roar et tout le joyeux menu des bals à l’huile de l’île.
Relâche le Vendredi saint. Restaurents exceptés, Lab City est littéralement cadenassée ce jour-là. Chacun fourbit donc ses armes pour le 50 km, incorporé à la Great Labrador Loppet. Les femmes concourent sur 27 km, de Fermont à Lab City, les hommes sur 50 km, de Lab City vers les hauteurs de Fermont et retour. Style libre. Les polyvalents et fûtés prennent fait de la neige tombée au matin, après traçage… cézigue fait son petit héros en classique. Parcours vallonné, roulant, en montée graduelle à l’allée, qui nous hisse à la ligne de partage des eaux, tracé de la frontière labrado-québécoise. Le retour, c’est du bonbon. Pour tous, car plusieurs femmes concourent en classique et nous pratiquent des rails qui, la chaleur montant [il fait 0 °C/-1 °C sur le coup de midi], glacent légèrement et permettent une dynamique double poussée.
Autour du podium, ça donne ceci : Georges réfreine ses ardeurs à la course populaire de 10 km [1 h 28 min]. Yves l’emporte [2 h 38 min 18 s] et Brian est quatrième [2 h 47 min 38 s] en M1; Alain est deuxième [2 h 41 min 24 s], mais emporte néammoins le titre canadien en M2, le premier étant l’Américain Chris Dorion, qui le précède de 40 s; Gaétan, meilleur temps du jour [2 h 34 min 4 s], complète son coup de balai en M3, un peu moins de trois minutes devant Alf Parsons, premier en M4, ou Paul est cinquième [2 h 52 min 52 s] et Jean septième [4 h 18 min 6 s]. En M5, Pierre fait cinquième [3 h 33 min 30 s]. Richard est deuxième en M6 [2 h 57 min 55 s], un peu plus de onze minutes derrière l’impressionnant Gabriel Aubé, et notre non moins impressionnant Robert se tartine un chrono de 3 h 5 min 44 s en M8, pour l’emporter par 10 min 46 s sur Karl Kinanen.
Gaétan croit voir rouge sur le dernier kilomètre… Il voit juste de fait : manipulé par nulle autre que notre très enthousiaste déléguée technique Lise Bégin-Langlois, le Petit Chaperon rouge s’intercale entre lui et son suivant. Chapeau à notre charmante fumiste! Elle pratique un style de gestion technique souriant et convivial, tout à fait dans l’esprit de cette rencontre annuelle des maîtres, compétitive certes, mais fraternelle tout autant.
Au banquet de clôture, l’entrain et la tristesse se tiraillent en nous. Nombreux sont ceux qui affirment n’avoir jamais participé à des championnats aussi agréables et bien organisés, comme quoi souplesse et rigueur peuvent aller de pair. Le président Gerry Rideout et ses gens se sont révélés des hôtes extraordinaires. Ils on vu de bout en bout à tout, voire à la célébration du sacré d’une telle amicale. Au banquet du mercredi, le député du coin à la législature de St. John’s, dont le nom m’échappe malheureusement, avait fait état d’une conversation à l’improviste avec Georges. Il avait été particulièrement touché par ce mot de sagesse de notre doyen : » On ne peut pas tous être le plus grand pin de la montagne, mais on peut tous être un bon arbuste dans la vallée « . Enfin, pour » faire court « , toujours est-il que cet élu sensé et les organisateurs des championnats se sont virés de bord en un rien de temps pour présenter à notre Georges national, en ce soir d’adieu, un message-hommage encadré, marqué du sceau de Terre-Neuve et signé de la main du premier ministre Brian Tobin!
Une ovation debout a salué la courte cérémonie. Le moment était empreint d’égales sincérité et solennité. Ce fut le point d’orgue tout indiqué d’une semaine exceptionnelle.
Avril 1997
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