Les dessous des Championnats Mondiaux des Maîtres en Russie par Jean-Yves Babin, Saint-Romuald
J’ai déjà traité de ces championnats dans la lettre circulaire de l’Association canadienne des Maîtres. J’ai pensé que les lecteurs de l’Écho des Maîtres du Québec souhaiteraient aussi en savoir un peu plus sur les dessous de ce voyage. Malgré ce qui suit, je tiens à vous assurer que ce voyage a constitué pour moi une expérience inoubliable.
Dans un voyage, le plus long est d’arriver à la porte
Il y a eu les multiples échanges avec l’organisation de Russie; puis les transferts bancaires toujours de plus en plus compliqués, pour des sommes d’argent de plus en plus importantes (p. ex. 10,000 $), car il s’agissait des réservations de tout le groupe. Le tout sans jamais pouvoir obtenir de confirmation si l’argent se rendait bien. L’année qui a précédé les championnats aura été ponctuée de cinq transferts d’argent. Tout pour ajouter quelques cheveux blancs à ma tête déjà passablement grise.
Le voyage forme la jeunesse
Ce n’est pas grave. Enfin le départ! Montréal, Frankfort et Moscou plusieurs heures plus tard. Tout va bien malgré le manque de sommeil et pas mal de fatigue. Arrivé à Moscou, je m’installe devant le convoyeur à bagage avec mes deux compagnons de voyage. Eux récupèrent rapidement leurs deux bagages et moi je récupère mon sac à ski. Malheureusement le deuxième bagage ne vient pas. Je me présente donc aux réclamations et, en utilisant ma langue et mes mains, les employés finissent par comprendre le problème et là commencent à tapocher sur l’ordinateur et à placoter au téléphone. Évidemment je ne comprends strictement rien de ce qu’il se dit. Quatre dames se mettent en branle pour retracer mon bagage et là c’est parti … les formulaires à remplir. Un premier, un deuxième je ne sais trop pourquoi, et ainsi de suite jusqu’au cinquième, malgré mes protestations après le quatrième.
Pendant tout ce temps mes deux collègues attendent patiemment en faisant le pied de grue. Il fait très chaud dans l’aéroport et moi je trouve qu’il fait encore plus chaud. Après 45 minutes, miracle, on a retracé mon bagage. On avait oublié de le mettre a bord à Frankfort et on m’assure que je l’aurai le lendemain. On me dit qu’en appelant le soir ou le lendemain, je saurai à quel moment il me sera livré. Le soir et le lendemain, peine perdue, aucune réponse au numéro indiqué; là je me suis demandé si j’avais bien compris les explications de l’interprète qui en passant, aurait encore eu besoin de fignoler son anglais, car je n’étais jamais certain si elle me comprenait et moi-même n’étais pas certain de toujours la comprendre, ou si c’est moi qui ne savait pas téléphoner à la russe. Enfin, après une dernière tentative téléphonique après laquelle j’avais pris la décision de me rendre à l’aéroport en taxi, une heure de route à grand frais, je réussis enfin à joindre un interlocuteur et on me confirme que le bagage me sera livré dans l’après midi.
Tout heureux d’avoir récupéré mes effets personnels, je m’empresse de défaire ma valise et de préparer mes skis pour une reconnaissance des pistes le lendemain. Je sors les étaux à ski Swix, flambants neufs, gracieusement prêtés par Carl Blanchet. Impossible de les fixer au rebord des tables prévues à cette fin, il est trop épais. En branchant mon fer à farter, le transformateur saute! Fini le fer à farter, ainsi va la vie! J’ai dû faire appel aux bons samaritains pour toute la durée des compétitions; heureusement j’en ai trouvés.
Plus on va loin, plus la connaissance baisse
Parlons un peu de la haute gastronomie Russe. Le premier soir, disons que l’on ne savait pas trop ce que l’on a mangé, mais ce fut tout au plus acceptable. C’est le lendemain matin que la dure réalité nous a rattrapés après une nuit sans sommeil. On nous sert du poisson encore avec sa peau et du riz, plat chaud qui nous fut servi froid. Excellent pour le moral!
Nous avons crû comprendre que notre hôtel faisait partie d’un complexe récréatif probablement réservé aux bons Russes du régime communiste de l’époque et toujours réservé aux mêmes Russes sous le régime capitaliste. Ce complexe n’a probablement jamais eu à accueillir des étrangers. Vous comprendrez donc que nous avons réellement vécu à la russe pendant notre séjour, ce qui nous a permis de mieux connaître leur culture. Il y a toujours des avantages à tirer d’une expérience.
Par conséquent, la salle à manger fonctionnait à la méthode russe. Ils ont la bonne habitude de mettre tous les plats chauds sur chaque table avant l’ouverture de la salle à manger. Comme nous étions environ 150 personnes et que la salle était ouverte de 4h30 à 6h00, nul besoin de vous dire dans quel état on trouvait les plats chauds à 5h30. Après quelque jours de ce régime froid, je me suis donné comme mission d’améliorer la situation. J’ai donc pris mon courage à deux mains et entrepris des négociations avec l’interprète afin de corriger la situation. Surprise le lendemain, les plats chauds n’étaient pas sur la table à notre arrivée dans la salle à manger, mais nous arrivaient dès que nos fesses touchaient la chaise. Cette façon constituait une amélioration, mais ne nous laissait pas plus de temps pour siroter notre bière ou déguster notre salade sans que l’assiette principale ne refroidisse.
Ce rituel s’est maintenu jusqu’au dernier soir du séjour. Mystère et boule de gomme, pas de plats chauds au souper ce soir-là; on attend quelques minutes et on en fait notre deuil. Nous attaquons donc ce qu’il y a sur la table, une salade de patates entre autres qui en passant était bonne; nous en avons mangé une quantité suffisante pour constituer un repas complet. Lorsqu’on a été rassasié une demi-heure plus tard, voilà le plat chaud qui arrive! On a pu seulement y goûter et, malheureusement, c’était pour une première fois délicieux. Enfin on a compris qu’ils avaient compris et que c’était nous qui n’avions pas compris. Voilà un exemple de communication efficace.
Quand les Russes prennent les grands moyens
Ce qu’il faut comprendre et que nous n’avions toujours pas compris, c’est que lorsque c’est indiqué que la salle à manger est ouverte de 4h30 à 6h00, cela signifie que tu dois sortir à 6h00, alors que nous, fidèles à nos coutumes occidentales, entrions à 6h00. Nul besoin de vous dire que notre habitude devait passablement indisposer les deux dames qui nous ont servis pendant dix jours et qui devaient être sur place de 5h00 du matin à 7h00 du soir. D’ailleurs ces deux personnes étaient fort différentes: l’une, plutôt coquette, que nous arrivions à faire sourire sans trop de difficulté (la nouvelle génération); l’autre, d’un fort gabarit (genre armoire à glace) et de qui nous n’avons pas réussi à arracher un seul sourire durant tout le séjour.
L’avant dernier soir, fidèle à notre habitude, sirotant tranquillement notre café instantané, vers 6h30 l’une d’elle se pointe à notre table, affichant un air résolu et nous dit : « Go home! » Je vous laisse deviner laquelle c’était.
Nous avons compris que son vocabulaire anglais était plutôt limité et nous avons aussi compris ce qu’elle voulait. Les grands moyens sont parfois très efficaces. Je ne voudrais pas vous laisser sous l’impression que son attitude était inacceptable. Dans le même contexte, une serveuse québécoise aurait aussi avertit ses clients qu’il était temps de partir, sans toutefois utiliser le même vocabulaire. Que voulez vous, c’est probablement les deux seul mots d’anglais quelle connaissait et qu’elle venait d’apprendre du cuisinier.
Mai 2005
Laisser un commentaire