L’entraînement des muscles inspiratoires, nouveau complément de l’entraînement en ski de fond par Guy Thibault, Ph. D.
L’entraînement traditionnel en ski de fond comprend, à part le ski de fond évidemment, des activités aérobies estivales comme le vélo, la course à pied, le patin et le ski à roulettes (et peut-être la consommation de bière, par exemple si vous vous appelez Alfred), mais aussi de l’entraînement avec résistances, c’est-à-dire de la musculation.
C’est logique : en soumettant nos muscles à un travail intense à l’aide de résistances, on augmente leur puissance (leur force, leur vitesse), ce qui se traduit, plus tôt en saison, en :
- un moins grand risque de blessures d’usure et, en cas de chute, de blessures accidentelles ;
- une plus grande facilité à maintenir une posture stable ;
- un style de ski plus efficace ;
- une plus grande puissance lorsque ça compte ;
- et toutes sortes d’autres bonnes choses qu’on vous souhaite quand on vous aime !
Dans leur programme de musculation, les skieurs de fond sollicitent généralement plusieurs masses musculaires et mettent l’accent sur celles qui sont sollicitées de façon plus marquée en ski : les extenseurs des jambes, du dos et des bras, de même que les fléchisseurs et les extenseurs de la hanche, etc.
Mais les spécialistes en entraînement n’ont pas eu, jusqu’à maintenant, le réflexe de proposer la musculation pour les muscles respiratoires (les muscles intercostaux et le diaphragme).
Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils n’y ont tout simplement pas pensé ou bien parce qu’ils se disent que ces muscles sont déjà pas mal sollicités lors de l’entraînement aérobie, particulièrement lorsqu’il est intense, comme c’est le cas en entraînement intermittent (« ça devrait suffire, non ? »); ou encore parce que la respiration ne semble pas être un élément limitant la consommation maximale d’oxygène, le fameux VO2max, déterminant numéro un de la performance dans les sports d’endurance comme le ski de fond. En effet, lorsqu’on fait un effort maximal, comme par exemple monter une côte le plus vite possible, on est encore capable de respirer plus fort, mais si on le fait, on n’obtient pas pour autant une meilleure performance.
Mais voilà que dans la littérature scientifique, on commence, depuis peu, à trouver des éléments qui ébranlent nos convictions. D’abord, il y a cet Américain, spécialiste de la physiologie respiratoire, un dénommé Dempsey, qui a montré que chez certains athlètes, la respiration (les savants, pour faire savant, appellent cela la ventilation pulmonaire; rien à voir avec la ventilation de votre logis) peut s’avérer un facteur limitant de la performance. Résultat, on dispose maintenant d’un certain nombre de données suggérant ou démontrant que les athlètes peuvent s’améliorer d’une coche en ajoutant à leur entraînement traditionnel des exercices spécifiques de renforcement des muscles respiratoires.
Un exemple ? Un dénommé Volianitis et son gang de l’Université de Birmingham au Royaume-Uni ont demandé à 14 rameuses de haut niveau (pour les initiés, voici leurs lettres de créances : VO2max = 3,56 L d’O2/kg; c’est pas mal) d’effectuer deux tests maximaux sur ergomètre à ramer, avant et après une période de 11 semaines d’entraînement bijournalier et spécifique des muscles inspiratoires. Le premier test : ramer la plus grande distance virtuelle possible en 6 min; le second : ramer le plus vite possible la distance virtuelle de 5 000 m.
En quoi consistait l’entraînement respiratoire ? Rien de moins que 30 inspirations consécutives contre une résistance correspondant à 50 % de la pression maximale d’inspiration mesurée à la bouche, et ce, deux fois par jour. C’est à peu près comme respirer profondément à travers une paille !
La résistance était créée à l’aide d’un truc mécanique, une sorte de pipe, à travers duquel les sujets devaient inspirer. Il s’agissait d’un appareil médical semblable au PowerLung qu’on trouve sur le marché (www.powerlung.com). Les 7 rameuses du groupe contrôle (il faut un groupe contrôle pour s’assurer que les éventuelles améliorations du groupe expérimental sont bien dues à l’entraînement et non pas à autre chose) effectuaient 60 inspirations par séance, mais contre une résistance trop faible pour solliciter de façon significative les muscles inspiratoires (seulement 15 % de la pression maximale d’inspiration). C’est un peu comme faire semblant.
Les résultats, comme l’indique le tableau suivant, suggèrent qu’en ajoutant un programme d’entraînement spécifique des muscles respiratoires à leur entraînement traditionnel, les athlètes de sports aérobies, comme le ski de fond, pourront améliorer leur performance. En moyenne, les rameuses du groupe expérimental ont réussi à retrancher 36 s à leur résultat au 5 000 m, soit une amélioration de 3,1 %, alors que le groupe contrôle ne l’a amélioré que de 11 s (soit 0,9 %). Bien sûr, 3,1 %, ce n’est pas le Pérou, mais quand on est au haut niveau, toute amélioration revêt une importance cruciale. Et quand on sait que des Lopettes se règlent parfois au sprint…
AMÉLIORATION | ||
Avec un véritable entraînement des muscles inspiratoires | Sans véritable entraînement des muscles inspiratoires | |
Force des muscles inspiratoires | 45,3 >± 29,7 %* | 5,3 >± 9,8 % |
Distance virtuelle parcourue lors du test maximal de 6 min | 3,5 >± 1,2 % | 1,6 >± 1,0 % |
Temps de performance au test de 5 000 m | 3,1 >± 0,8 % | 0,9 >± 0,6 % |
Prendre note de la très grande variation interindividuelle du taux d’amélioration de la force des muscles inspiratoires. Elle suggère que certains athlètes ont avantage, plus que d’autres, à épicer leur préparation physique de séances visant spécifiquement la musculation des muscles inspiratoires.
À noter que, grâce à leur entraînement spécifique des muscles respiratoires, les rameuses éprouvaient une moins grande fatigue des muscles inspiratoires au terme du test maximal de 6 min. On s’explique. Faire un test maximal de 6 min, ça use : la force des muscles inspiratoires est en moyenne 11,2 % moins élevée au terme du test. Mais après les 11 semaines d’entraînement respiratoire, la diminution de la force des muscles inspiratoires due à l’épuisant effort de 6 min n’était que de 3,0 %.
On peut effectuer des exercices des muscles inspiratoires à l’aide d’un appareil spécialement conçu à cet effet, comme par exemple le PowerLung, ou tout simplement en pinçant les lèvres pendant que l’on effectue des inspirations « forcées » par la bouche. C’est un peu comme gonfler un ballon, sauf qu’on inspire plutôt que d’expirer. Il s’agit d’inspirer profondément et à haut débit, en dépit de la résistance à l’entrée d’air.
Les skieurs de fond qui voudront ajouter un programme d’entraînement des muscles inspiratoires à leur programme traditionnel de ski auront avantage à suivre une lente progression dans le nombre de répétitions par séance, mais aussi dans le niveau de résistance. Il s’agira de pincer les lèvres de façon sensiblement plus marquée au fur et à mesure que progressera l’entraînement et d’y aller avec un peu plus d’entrain.
Le fabricant du PowerLung recommande de faire 30 respirations complètes (inspirations et expirations) chaque matin et chaque soir. Mais, comme l’expiration se fait, même à l’effort intense, sans grande sollicitation des muscles respiratoires, ce sont surtout les muscles inspiratoires qu’on a avantage à entraîner, comme l’a d’ailleurs fait Volianitis et son gang.
Monsieur PowerLung promet des résultats en trois semaines. Plutôt conservateur pour un Texan : en général, dès qu’ils débutent un entraînement des muscles inspiratoires, les athlètes déclarent que les exercices subséquents leur apparaissent sensiblement moins contraignants sur le plan respiratoire.
Seul inconvénient de l’entraînement spécifique des muscles inspiratoires : difficile de le faire en public sans passer pour une personne franchement dérangée !
Lecture suggérée :
Volianitis S. et coll., Inspiratory muscle training improves rowing performance. Medicine & Science in Sports & Exercise 33(5):803-809, 2001.
Octobre 2001
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