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Québec, capitale nordique des Amériques

Québec, capitale nordique des Amériques par Louis-Guy Lemieux

La ville de Québec, située sur la même latitude que La Rochelle, en France, a une température aussi froide, en janvier, que le port de Mourmansk, sur la mer de Barents, dans le cercle polaire. Mais ce n’est pas le froid qui caractérise le mieux l’hiver québécois. C’est la neige.

Seule la péninsule du Kamtchatka, en Sibérie, reçoit autant de neige que le Québec : deux mètres et demi par hiver, en moyenne. Si vous vous rendez à une vingtaine de kilomètres de la ville de Québec, dans les montagnes, au nord, vous serez dans l’endroit le plus neigeux du monde : quatre mètres au sol chaque saison froide.

Partout sur le territoire québécois, il neige abondamment de décembre à avril. Parfois même avant, en novembre. Parfois même après, en mai. Les gens qui vivent du tourisme et des sports d’hiver parlent de « l’or blanc ».

Pas surprenant que l’un des plus jeunes et des plus jolis mots de la langue française, nordicité, ait été créé ici, à Québec, par le géographe Louis-Edmond Hamelin, fondateur du Centre d’études nordiques de l’Université Laval. Ce néologisme exprime fort justement la capacité d’adaptation des humains des régions nordiques au froid, à la neige et aux glaces.

Les Québécois ont apprivoisé l’hiver comme l’ont fait, chacun à leur façon, tous les habitants des pays nordiques de la planète. En retour, l’hiver a forgé le caractère propre des gens d’ici.

Quand l’hiver n’en finit plus de finir, les Québécois disent qu’il y a deux saisons au Québec: la froide et la chaude. Ils disent aussi, certains hivers précoces : « Ça ne peut pas être déjà l’hiver, on n’a pas eu d’été. »

L’anthropologue Bernard Arcand a fait rire tout le pays de bon cœur en suggérant avec humour que les Québécois entrent en hibernation, comme les ours des forêts septentrionales, trois mois chaque hiver, de décembre à février. Tout le monde en vacances. Les enfants des écoles comme les travailleurs. Place au repos, aux sports d’hiver et au carnaval.

L’anthropologue ne fait pourtant que reprendre une réalité vécue par nos ancêtres.

Dans le livre Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent, l’historien Jean Provencher raconte qu’au XIXe siècle, à Québec, la période annuelle du repos et des plaisirs commence fin novembre ou début décembre, avec la fin de la navigation sur le fleuve figé par les glaces. Cela dure jusqu’au Mardi gras.

Plusieurs activités commerciales cessent à ce moment. Le port entre en hibernation, pour ainsi dire. Les comptoirs et les magasins ferment, faute d’approvisionnement de l’extérieur. Pour se désennuyer, les gens organisent des courses de chevaux sur le fleuve gelé, des courses de traîneaux à chiens, des traversées du fleuve en canot, etc. On va beaucoup au théâtre, on boit plus que d’habitude dans les nombreuses auberges et tavernes.

Le premier carnaval d’hiver, en 1894, vise à aider les citoyens à passer l’hiver, à attirer les touristes et à relancer le commerce. L’actuel carnaval d’hiver de Québec poursuit avec succès les mêmes buts.

Chaque hiver ou presque, toujours au XIXe siècle, un pont de glace se forme naturellement entre Québec et Lévis, sur la rive sud du fleuve. Les gens de la région appellent de tous leurs vœux la soudure du fleuve, donc les grands froids. Le pont de glace est le seul lien entre les deux rives.

Quand la glace se soude, les villes de Québec et Lévis s’entendent pour entretenir un chemin carrossable. Le milieu du fleuve devient une zone franche. Des débrouillards y installent des cabanes sur les glaces où l’on vend de tout. Les gens s’y arrêtent pour boire un verre d’eau-de-vie ou un thé chaud.

Durant l’hiver 1817, le pont de glace s’étend depuis Québec jusqu’à Berthier-sur-Mer, 40 kilomètres plus à l’est. La chose ne se reproduira jamais plus par la suite, de mémoire de riverain.

En 1959, les Américains et les Canadiens construisent la « voie maritime du Saint-Laurent ». Dorénavant, la navigation est possible de l’Atlantique jusqu’aux Grands Lacs, et ce, douze mois par année. C’est la fin d’une époque héroïque. C’est le début d’une nouvelle façon de vivre l’hiver dans l’est du Canada, au Québec et à Québec.

Des brise-glace frayent un chemin aux navires à travers les glaces du fleuve. Pourtant, le froid est parfois le plus fort.

En 1968, fin janvier, le pont de glace se forme de nouveau entre Québec et Lévis malgré les efforts des brise-glace. Le trafic maritime est arrêté durant 10 jours. Il faudra faire appel au John-A. Macdonald, le plus puissant brise-glace de la garde côtière canadienne, pour venir à bout de la banquise.

On dit des Québécoises qu’elles ont le sang chaud. On dit des Québécois qu’ils ont un goût immodéré pour la fête. Ne cherchez pas plus loin, c’est un atavisme profond, venu des longs hivers d’antan, qui remonte à la surface, tout naturellement.

Cet article, reproduit avec l’autorisation de son auteur et du journal,  a été publié dans Le Soleil de Québec, édition du samedi 21 avril 2001 à l’occasion du Sommet des Amériques.

 

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