Le ski de fond, un sport trop exigeant pour les Canadiens ? par Stéphane Barrette
Quand on m’a demandé d’écrire un article sur le développement des athlètes, je me suis dit que c’était une belle occasion de tester ma nouvelle théorie ! En plus, bien sûr, de susciter les réactions du milieu… J’aurais pu vous entretenir sur les plus récentes découvertes en matière d’entraînement, mais je vous avoue que mes préoccupations en matière de développement des athlètes sont beaucoup plus fondamentales que les dernières trouvailles scientifiques…
Si je parle avant tout de préoccupations, c’est évidemment parce que la situation actuelle du ski de fond de compétition au Canada, pas seulement au Québec, soulève plus d’inquiétude que d’enthousiasme. Comme la plupart d’entre vous connaissez bien ce milieu, je ne vous apprends sûrement rien. Par ailleurs, pour répondre à ceux qui me trouvent déprimant avec mes articles, je ne prendrais pas la peine de remâcher nos déboires si je n’avais pas la ferme conviction qu’on a tout ce qu’il faut pour réussir. Je ne veux pas vous déprimer, je veux vous stimuler !
Tout de même, à l’intention des plus jeunes lecteurs, il faut dire que le ski de fond canadien n’a pas toujours été dans une telle situation. Il n’y a pas si longtemps, le Canada figurait tout de même parmi les dix premières nations au monde et ses athlètes réussissaient régulièrement à se classer parmi les vingt meilleurs, ce qui est loin d’être mauvais. C’est un détail très important, puisque ça veut dire qu’on devrait normalement connaître relativement bien la « recette » pour l’avoir appliquée avec succès déjà. En réalité, avoir déjà obtenu dans le passé de tels résultats, justifie les questions que l’on pose sur nos déboires actuels : que diable nous est-il arrivé depuis les années 80 ?
Il n’y a aucun doute : la réponse à cette question semble avoir une forte corrélation avec le déclin de la situation financière de Ski de fond Canada et par conséquent du programme de l’équipe nationale. Par contre, cela ne peut clore le sujet. Pourquoi nos subventions ont-elles tant baissé ? Pourquoi n’avons-nous pas réussi à maintenir malgré tout un niveau de performance intéressant ? Pourquoi des sports moins bien subventionnés que le ski de fond se sont-ils développés et ont-ils progressé malgré tout ?
Il y a évidemment autant de réponses que de questions. Pourtant, les questions par rapport à l’évolution de nos résultats internationaux depuis la fin des années 80 évitent le cœur du problème. Pour quiconque a un peu d’ambition et de vision, il n’y a en fait qu’une seule question à poser : comment se fait-il que le Canada ne fasse pas partie de l’élite mondiale en ski de fond ? Pourtant, nous bénéficions d’un environnement idéal pour le ski de fond et nous profitons d’infrastructures qui n’ont rien à envier aux autres grandes puissances de ce sport. En plus, ne faisons-nous pas partie du G7 (groupe des 7 puissances économiques de la planète) ? Dans ce contexte, même si on se plaît à invoquer cette raison à tout bout de champ, il me semble plutôt gênant de dire que ça a toujours été et sera toujours une question d’argent.
Mon jugement peut paraître dur, mais il me semble bien qu’on se préoccupe davantage de trouver des explications à ses déboires plutôt que de comprendre tout simplement que de moins en moins d’athlètes sont prêts à faire les sacrifices nécessaires pour atteindre le niveau international. Pourquoi ? Parce qu’on est dans une société choyée qui nous dorlote. La vie ici est tout simplement trop facile !
Quand les athlètes, les entraîneurs et les parents ne cessent de dire qu’on ne gagne pas sa vie en skiant, que les études doivent toujours rester la priorité, que le ski de fond ce n’est qu’un passe-temps… cela n’aide en rien la situation. Et si ce discours était vraiment légitime, pourquoi le serait-il plus pour nous que pour les Européens ? Croyez-vous que les athlètes norvégiens, italiens, finlandais ou russes qui font partie de leur équipe nationale ont eu un parcours facile ? Si oui, détrompez-vous ! Je vous garantis que c’est beaucoup plus dur pour ces athlètes de faire partie de leur équipe nationale que ce l’est pour les Canadiens. La seule différence, c’est qu’ils ont beaucoup plus de chances d’être champion du monde un jour que les Canadiens dans la même situation. Pourquoi ? Simplement parce qu’avec plus de compétiteurs à la base, la sélection naturelle pour se rendre à ce niveau est beaucoup plus élevée chez eux que chez nous. Résultat : ceux qui passent à travers les échelons menant à l’équipe nationale réussissent parce qu’ils sont particulièrement talentueux et qu’ils s’entraînent particulièrement dur.
En fait, il y a une autre différence, et elle est de taille : à peu près partout dans le monde, les athlètes sont respectés et font partie de l’élite de leur société. Ce n’est évidemment pas étonnant quand on connaît les aptitudes personnelles nécessaires à la réussite sportive : détermination, confiance en soi, discipline, combativité, jugement, esprit innovateur et j’en passe. Qu’arrive-t-il aux athlètes après leur retraite sportive ? Ils adaptent leurs aptitudes sportives au monde du travail et ont vite fait d’occuper les places de choix dans le monde professionnel. Les ex-athlètes sont des individus efficaces et productifs pour une société ! Pourquoi a-t-on autant de difficulté à comprendre ça au Canada ? Ce ne sont pourtant pas les exemples qui manquent !
En Norvège, les sélections nationales sont plus relevées que les championnats du monde eux-mêmes. Pourtant, il n’y a pas plus de postes disponibles que dans les équipes nationales des autres pays. Pourquoi croyez-vous qu’autant de Norvégiens tentent leur chance en sacrifiant beaucoup malgré des probabilités de réussite faibles ? J’entends la plupart d’entre vous dire que c’est leur sport national et que le ski de fond est une religion chez eux comme le hockey l’est ici. Je vous arrête tout de suite. Qu’on se détrompe de nouveau : le ski de fond est un sport amateur, que ce soit en Norvège ou n’importe où dans le monde. Au hockey, on peut être parmi les 300 meilleurs Canadiens et bien gagner sa vie (certains font des millions…) parce qu’il y a des débouchés professionnels. Ne serait-ce qu’en considérant la Ligue nationale de hockey, saviez-vous que plus de 50 % des 750 joueurs répartis dans les 30 équipes de la ligue sont des Canadiens (tiré de NHL.com) ? Faites le calcul… Même le 30e meilleur norvégien en ski de fond gagnera plus en travaillant au dépanneur du coin qu’en faisant des courses de ski de fond. Imaginez le 300 !
Si je vous dis tout ça, c’est pour qu’on comprenne que ce n’est pas l’argent qui fait les grands champions, ce sont leur détermination et leur talent. Et ça, ça ne s’achète pas.
Malgré tout, il serait malhonnête de dire qu’on ne rivalise pas avec d’autres sports pour attirer de nouveaux candidats, tout comme il serait malhonnête de dire que seule la motivation intrinsèque suffit. Il ne faut pas exagérer, on n’a quand même pas besoin d’être des saints-martyrs pour faire de bons skieurs ! C’est pour cette raison qu’il faut continuer à faire connaître notre sport, surtout que nous avons maintenant un outil de taille pour en faire la promotion : le sprint.
Il faut également faire en sorte qu’une carrière en ski de fond soit attrayante. À cet égard, les voyages en Europe ont toujours représenté un attrait de taille pour nos athlètes. On ne peut que se réjouir du retour de ce type de projet (tour B) pour les athlètes qui ne font pas encore partie de l’équipe nationale, mais pour qui les sacrifices sont déjà très importants. Il est en effet essentiel de garder ce type d’athlètes dans le « système », puisque ce sont nécessairement les prochains candidats à l’équipe nationale. Plus il y en aura, plus les meilleurs seront de haut niveau et plus le Canada connaîtra de succès sur la scène internationale.
Entre-temps, on n’arrivera à rien tant que tous les intervenants que nous sommes n’encourageront pas nos athlètes à faire les sacrifices nécessaires; au moins jusqu’à ce qu’ils aient une bonne idée de leur potentiel maximal. De toute façon, ce n’est même pas une question de choix. Le niveau mondial est tellement élevé et il y a tellement de profondeur dans le peloton de Coupe du monde qu’il est impossible de gagner à ce niveau sans prendre des risques. À nous de choisir et de prouver (je sais que c’est dur…) qu’on n’est pas tous nés pour un p’tit pain.
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