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Nov
01

Usage… et abus (!) du cardio-fréquencemètre

Usage… et abus (!) du cardio-fréquencemètre par Guy Thibault

Vous en avez un, mais vous ne savez pas si vous l’utilisez comme il faut ou vous songez à en acheter un, mais vous ne savez pas si cela en vaut la peine. Alors voilà, moi qui promet depuis longtemps que je traiterai, dans L’Écho des Maîtres, de l’utilisation rationnelle du cardio-fréquencemètre…

Le cardio-fréquencemètre n’est pas que le nec plus ultra des gadgets pour impressionner la galerie. C’est un instrument qui vous donne une rétroaction constante sur votre fréquence cardiaque. Pourquoi est-ce utile à l’entraînement et en compétition ? Parce que la fréquence des contractions de votre cœur est, dans la plupart des conditions, un assez bon indice de l’intensité de votre effort. Or, en matière de prescription et de suivi de l’entraînement, l’intensité est considérée comme le facteur clé, notamment parce que certaines intensités ne présentent aucun intérêt, alors que d’autres ont un effet plus marqué sur la performance [voir encadré].

Les intensités d’entraînement

Si l’entraînement est effectué à moins de 55 % de votre VO2max, il n’a à peu près pas d’effet sur votre consommation maximale d’oxygène [c’est-à-dire votre VO2max, qui est un excellent indice de l’efficacité de votre système cardiorespiratoire et le déterminant de la performance le plus important pour toute épreuve de plus de quelques minutes]. Par contre, les séances d’entraînement à des intensités comprises entre 80 et 110 % du VO2max — qui doivent être effectuées de façon intermittente, sans quoi leur volume total est trop petit — sont celles qui ont les effets les plus prononcés sur la performance, en ski de fond comme dans d’autres activités prolongées comme la course de fond, le cyclisme, le vélo de montagne, etc.

La mesure précise de l’intensité de l’exercice nécessite un équipement encombrant qu’on n’utilise qu’en laboratoire. En prenant la fréquence cardiaque comme indice de l’intensité, on fait une erreur qu’on considère généralement, à tort ou à raison — ça dépend des cas — comme négligeable. Parmi les divers types de cardio-fréquencemètre, seuls ceux qui comprennent une bande à fixer autour du thorax et une  » montre  » bracelet on le minimum requis de validité.

Concrètement, vous pouvez utiliser votre cardio-fréquencemètre dans  » deux sens « . Je m’explique. Vous pouvez vous en servir pour ajuster votre vitesse de déplacement, et donc votre effort, en cherchant à avoir une fréquence cardiaque la plus proche possible de la fréquence cardiaque cible correspondant à l’intensité d’entraînement qui vous aura été prescrite. Par exemple, si on vous a recommandé de faire deux séries de trois répétitions d’une fraction d’effort de 5 min à 85 % de votre VO2max, vous calculez préalablement à quelle fréquence cardiaque cette intensité correspond, puis vous tâchez d’avoir une fréquence cardiaque qui est la plus proche possible de cette fréquence cible. À l’inverse, vous pouvez utiliser votre cardio-fréquencemètre pour noter votre fréquence cardiaque à divers moments à l’entraînement ou en compétition, puis vous calculez à quelle intensité elle correspond.

J’ai déjà fourni la formule permettant de calculer la fréquence cardiaque correspondant à chaque intensité] voir :  » Quelques outils pour construire vous-même votre programme d’entraînement « , L’Écho des Maîtres, no 3, 1994-1995, p. 8]. Le tableau présenté à la fin de cet article permet également de faire cette correspondance… dans les deux sens. Notez que vous devez connaître votre fréquence cardiaque maximale [ou, à défaut, l’estimer selon votre âge] et votre fréquence cardiaque de repos [à mesurer le matin au réveil].

Voici quelques utilisations du cardio-fréquencemètre :

1. Lorsque vous reprenez l’entraînement [en début de saison ou après un arrêt momentané occasionné par une blessure ou une maladie], utilisez votre cardio-fréquencemètre afin d’éviter de passer trop souvent ou trop longtemps au-dessus d’une intensité cible raisonnable [p. ex. 60 à 75 % VO2max] : cela vous obligera à  » travailler  » un peu moins fort et vous permettra de suivre une progression plus raisonnable, ce qui diminue d’autant les risques de blessures;

2. Lorsque des conditions extrinsèques affectent la vitesse à l’entraînement [vent, rugosité de la neige, altitude, décalage horaire, digestion, manque de sommeil], il peut être avantageux d’ajuster son effort en visant une fréquence cardiaque cible donnée plutôt que de s’acharner à adopter un rythme inutilement élevé;

3. En effectuant des entraînements à haute intensité et des compétitions [simulées ou réelles] au cours desquels vous portez votre cardio-fréquencemètre, vous pouvez identifier la fréquence cardiaque à laquelle vous avez le plus de chance de bien  » performer  » pour une épreuve d’une durée donnée. Par exemple, si vous n’avez jamais réussi à maintenir une fréquence cardiaque de 160 battements par minute pendant plus d’une heure, vous voudrez sans doute ajuster votre vitesse afin d’avoir une fréquence cardiaque inférieure à 160 battements par minute au cours d’une compétition de 20 km et plus;

4. Objectivez l’amélioration de votre condition physique au cours de la saison en comparant régulièrement votre fréquence cardiaque pour un effort d’une intensité donnée. Comme il n’est pas possible de contrôler l’intensité en ski de fond, vous devez faire ce genre de test sur un ergocycle ou en course à pied, sur une piste étalonnée et dans un environnement semblable d’un test à l’autre. Au fur et à mesure que vous améliorez votre VO2max et l’efficacité de votre style, votre fréquence cardiaque, pour un effort d’une certaine intensité, devrait diminuer. Certains utilisent ce genre de test pour détecter le surentraîne-ment : dès que leur fréquence cardiaque a tendance à augmenter pour une intensité donnée, ils diminuent leur  » charge  » d’entraînement et ils se mettent au repos;

5. Effectuez un certain tronçon de parcours [p. ex. une montée] à la même vitesse, mais avec des pas différents pour identifier celui qui est le plus efficace, c’est-à-dire celui qui vous  » coûte  » le moins d’énergie : c’est le pas qui s’accompagne de la fréquence cardiaque la moins élevée;

6. Vérifiez qu’il est plus efficace, à une vitesse donnée, de skier juste derrière un autre skieur ou skieuse [surtout si il ou elle a un grand gabarit par rapport au vôtre] : votre fréquence cardiaque devrait être plus basse d’environ 5 à 10 battements par minute, à cause de la diminution de la résistance de l’air;

7. Constatez l’amélioration de votre capacité de récupération en mesurant combien de temps il vous faut pour faire passer votre fréquence cardiaque d’un certain niveau à un autre, après l’arrêt de l’effort [p. ex. de 150 à 120 battements par minute];

8. Contrôlez l’intensité de votre échauffement, de votre retour au calme et, pendant un entraînement intermittent, des fractions de récupération. Par exemple, tâchez d’avoir une fréquence cardiaque correspondant à environ 55-65 % de votre VO2max pendant ces périodes;

9. Comparez votre fréquence cardiaque à celle d’un ou d’une camarade d’entraînement, sur divers tronçons; peut-être êtes-vous plus ou moins efficace que les autres sur le plat, en faux-plat ou en montée.

Certains programmes d’entraînement prescrits par des spécialistes réfèrent à ce qu’on appelle des  » zones  » d’intensité. L’intérêt de ceux-ci réside dans le fait qu’ils vous incitent à travailler à des intensités comprises entre 75 et 95 % du VO2max, ce qui est effectivement très avantageux au plan de l’amélioration des qualités physiologiques, à condition de suivre un patron rationnel d’alternance entre les fractions intenses et les fractions de récupération.

Cependant, il faut être conscient des limites du cardio-fréquencemètre comme outil de contrôle de l’intensité de l’entraînement. En effet, la fréquence cardiaque peut être un mauvais indice de l’intensité de l’effort dans plusieurs circonstances, si bien que j’ai maintes fois constaté qu’on en faisait un usage abusif. Voici quelques cas… à ne pas imiter :

1. Un coureur de demi-fond de très haut niveau dont les fréquences cardiaques de repos et maximales étaient très élevées [et oui, il y a des cas comme cela !] s’était fait imposer, par son entraîneur, de courir à 140 battements par minute — comme tous les autres coureurs de son club — au cours de toutes ses sorties d’automne. L’intensité relative à laquelle cela l’obligeait à  » jogger  » était manifestement trop faible : il a subi un désentraînement !

2. Un champion de vélo de montagne qui fait du ski de fond pour entretenir son [énorme] VO2max entre deux saisons estivales était forcé de  » se pousser  » à l’extrême au cours de certaines de ses séances intermittentes de ski pour reproduire les fréquences cardiaques qu’il obtient l’été à vélo lors d’entraînements semblables. En fait, lorsque le visage est exposé au froid, il se produit un réflexe nerveux qui fait que la fréquence cardiaque est plus basse pour un effort d’une intensité donnée : cet athlète, en tentant d’atteindre une fréquence qu’il atteint sans trop de difficulté l’été, devait fournir tant d’effort qu’il travaillait en fait à une intensité plus élevée que voulu, si bien qu’il avait tendance à négliger son style, ce qui n’est pas du tout indiqué si on veut améliorer sa performance en ski.

3. Un entraîneur demandait à ses athlètes de faire 20 intervalles de 30 secondes en  » zone 4  » [c’est-à-dire, je présume à 90-100 % VO2max selon son  » jargon « ] avec 2 à 3 minutes de récupération entre chaque effort. Comme la fréquence cardiaque n’augmente pas assez rapidement pour atteindre une valeur stable en 30 secondes, ses athlètes avaient l’impression de s’entraîner à une intensité inférieure à l’intensité prescrite, sauf parfois lors des dernières fractions d’effort au cours desquelles ils arrivaient enfin — au terme d’efforts inutilement épuisants — à se rapprocher de la fréquence cardiaque prescrite.

4. Un skieur qui s’acharnait à maintenir sa fréquence cardiaque sous les 150 battements par minute au cours d’une très longue sortie a dû réduire inexorablement sa vitesse, jusqu’à ce qu’il soit obligé de skier à un rythme ridiculement lent. Le phénomène appelé la  » dérive cardiaque  » fait que la fréquence cardiaque augmente lentement mais constamment lors d’un effort prolongé, même si l’intensité demeure constante. Il vaut mieux laisser sa fréquence augmenter sensiblement que de tenter vainement de la conserver constante, sans quoi l’intensité d’entraînement risque de passer sous le seuil minimal requis pour s’accompagner d’une amélioration des déterminants physiologiques de la performance.

5. Un skieur, constatant que sa fréquence cardiaque dépassait les 180 battements par minute lors de l’échauffement et des premiers kilomètres d’une course, a été pris de panique, ne sachant plus s’il devait réduire sa vitesse ou conserver son rythme, qu’il trouvait pourtant relativement facile. En fait, la fréquence cardiaque dépend non seulement de l’intensité de l’effort, mais aussi du stress psychologique. Il ne faut pas s’inquiéter si dans certaines circonstances la fréquence cardiaque d’exercice est supérieure à celle qu’on s’attend d’avoir.

En conclusion, il peut être avantageux d’utiliser un cardio-fréquencemètre à l’entraînement et en compétition, si on sait s’en servir. Que cela ne vous empêche pas d’être à l’écoute de réactions de votre corps. Je crois que l’intérêt principal du cardio-fréquencemètre réside non pas dans son utilisation comme outil pour ajuster l’intensité d’entraînement, mais plutôt comme moyen d’obtenir une information supplémentaire sur les réactions de son corps à différentes situations. Ainsi, un des premiers exercices que vous pourriez faire avec votre cardio-fréquencemètre est de noter comment se comporte votre fréquence cardiaque lors d’une séance type d’entraînement, puis de constater comment ce comportement change au cours de la saison, au fur et à mesure que vous progressez. À ce titre, les fonctions très sophistiquées de mémoire dont sont munis certains nouveaux modèles de cardio-fréquencemètre pourront s’avérer particulièrement utiles.

Un autre exercice que vous pourriez faire consiste à skier quelques minutes à une vitesse telle que votre fréquence cardiaque se rapproche le plus possible des intensités suivantes : 75, 85 et 90 % du VO2max. Vous devriez constater que 75 % VO2max est une intensité qu’on peut maintenir sans trop de problèmes pendant une heure à l’entraînement. La vitesse correspondant à 85 % VO2max est à peu près celle que vous maintenez en moyenne lors d’une compétition de 2 heures [si votre endurance est  » moyenne « ] ou 2 heures 30 minutes [si votre endurance est  » élevée « ], alors que celle correspondant à 90 % VO2max peut difficilement être maintenue plus de 40 minutes, même en compétition.

Je vous souhaite de bien tirer profit de votre cardio-fréquencemètre et surtout… de ne pas en devenir un esclave [comme ce skieur de fond français qui ne voulait plus participer à la Transjurassienne parce qu’il avait oublié son  » pulsomètre  » à la maison !].

Tableau (Format Adobe Acrobat Reader)

Novembre 1996


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