Le duathlon séquentiel du souffle court par Paul Junique
Gris et pluvieux ce dimanche de septembre. La tradition n’est pas rompue, le Duathlon séquentiel d’automne rouge se déroulera dans l’humidité d’un mont Sainte-Anne habillé d’automne pour la circonstance. Pourtant, le moral est au beau fixe.
Sitôt descendu de l’auto, les visages connus apparaissent; ceux des skieurs, bien sûr, que je n’ai pas revus depuis mars dernier. Pour oublier la bruine, je m’accorde quelques minutes de » social » et beaucoup de poignées de main. Les maîtres sont au rendez-vous. Mon régime de skis à roulettes ne me permet qu’un minimum de course à pied et que très peu de vélo de montagne; c’est pourquoi il y a certains visages que je ne connais pas. Certainement des coureurs ou des » VTTistes « .
Pour me donner un air de professionnel, je me suis renseigné du mieux possible sur le trajet. Au départ ça monte, ensuite ça monte, juste après ça monte encore, au point d’eau ça monte toujours et pour finir ça monte. Devant cette sobriété dans la difficulté, je me suis inscrit aux deux épreuves. Au diable l’avarice ! Carole, elle aussi, s’est inscrite aux deux épreuves. On est un couple qui ne se refuse aucun effort. Maintenant, il faudrait peut-être se réchauffer un peu. Aussitôt dit, aussitôt essoufflé dans la Jean-Larose, au petit trot, avec Alfred Fortier. Ça déborde d’expérience un gars comme ça; j’ai intérêt à l’écouter et à emmagasiner les conseils… ça va sûrement servir.
11 h 15, une charmante voix explique que si dans la course on a l’impression de descendre, on s’est trompé de parcours. Je n’aurai pas le temps de sourire, c’est parti. En passant devant les gondoles entreposées, j’ai rêvé un instant à la descente. Je n’ai pas rêvé bien longtemps, mon » cardio » était trop occupé à fournir assez d’oxygène pour me maintenir debout. Les renseignements glanés au départ étaient exacts : ça monte. Ce qui est beaucoup moins exact, c’est le rythme de ma pompe. Entre deux râles, j’ai l’impression… en fait je n’ai plus d’impression. J’arrive tout juste à éviter les roches pour ne pas me casser la figure. Pendant cette première montée, je n’aurai vu ni les panneaux de kilométrage, ni le point d’eau, ni l’automne rouge. Je n’ai même pas vu les deux ou trois coureurs que j’ai doublés. Je devais être trop concentré. Ce que j’ai vu par contre, c’est la ligne d’arrivée. Plus j’avançais, plus elle semblait s’éloigner… une illusion d’optique.
J’étais tellement fier de mon ascension, que j’ai appuyé sur tous les » pitons » de mon chronomètre, effaçant tout témoignage de mon exploit. J’espère que le chronométreur m’a vu arriver. J’ai oublié de mentionner mes objectifs ou plutôt mon objectif : rattraper et doubler le chandail vert de Gaétan Marchand qui fuyait devant moi. Une chance que je n’y suis pas arrivé, ce n’était pas le bon chandail; Gaétan était dans un autre t-shirt.
La descente est beaucoup plus facile. La gondole se charge de tout.
Le lunch, c’est le moment de repos. C’est ce que je pensais avant de me déshabiller, de me sécher, de me changer, de préparer mon vélo, de rencontrer d’autres amis skieurs, de confronter quelques résultats, de féliciter quelques maîtres, d’en envier d’autres, d’enfiler mon casque et d’aller me » re-réchauffer « … en vélo cette fois. Mais toujours avec Alfred dont les précieux conseils pourraient à nouveau servir.
C’est vrai que ce gars-là s’y connaît. Il m’avait affirmé qu’il n’y avait aucune récupération. Il avait raison. Même pendant le lunch j’ai été obligé de me presser pour être de nouveau sur la ligne de départ à 14 h 15.
Là, j’ai été imprudent. Placé beaucoup trop près du premier rang, j’ai pris le coup de feu du départ dans l’oreille. J’ai sursauté et en retombant sur ma selle, j’ai compris pourquoi les cuissards de vélo sont rembourrés. Je suis quand même chanceux. En me concentrant sur mon entre-jambes, je n’ai pas vu passer le premier kilomètre ni les cinquante vélos qui m’ont doublé.
Habitué au trajet, ma tactique est simple : petit plateau à l’avant, gros plateau à l’arrière. J’ai vainement tenté pendant toute le montée de mettre un plus gros pignon derrière, mais chaque dérailleur à ses limites…
Au troisième kilomètre, j’ai réalisé que pendant le repos du midi, je ne m’étais pas donné d’objectif. En bon athlète, j’ai choisi illico le premier qui me venait à l’esprit : respirer jusqu’au sommet.
En course à pied, j’ai fixé mes souliers tout au long du chemin, en vélo j’ai changé d’attitude. J’ai fixé ma roue avant; je ne risquais pas de frapper un autre vélo, ils me doublaient tous. Le rythme est endiablé. Je parle de ma respiration, bien sûr, pas de mes jambes. Cette fois encore je n’ai vu ni les panneaux de kilométrage, ni le point d’eau, ni l’automne rouge. Par contre, je me suis amélioré; j’ai vu plusieurs vélos passer devant moi.
Comment je m’y suis pris pour terminer ? Aucune idée. J’ai passé la ligne d’arrivée, j’ai » déclipé » mes pédales, j’ai mis mon gros plateau à l’avant [pour impressionner] et je me suis étalé dans la première gondole disponible.
C’est en redescendant que j’ai réalisé qu’on était en automne. C’est en retrouvant les visages souriants des amis que j’ai réalisé que mon premier duathlon était terminé. Et c’est en retrouvant Carole que j’ai réalisé qu’elle aussi avait terminé ses deux épreuves.
Place au » social « , aux projets de courses en ski, aux empoignades, aux félicitations et aux bye-bye. Il faut bien rentrer !
Bravo et merci aux organisateurs, aux bénévoles et à tous les participants. On se retrouve en ski. Et là, je n’ai aucune crainte; Pierre Bernatchez n’a pas encore pensé au duathlon de l’hiver blanc.
P.-S. : Au retour, dans nos sacs, bien à l’abri des vêtements mouillés, il y avait deux médailles.
1 Il ne me reste que ce titre-à, Boris Vian ayant déjà utilisé » L’arrache-cœur » comme titre pour un de ses romans.
1994
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