La force musculaire et le ski de fond par Bernard Bilodeau
La force musculaire est très importante lors de la pratique de plusieurs sports. Des sports comme le football, les sports de combat et la natation, pour n’en nommer que quelques-uns, sont dépendants en grande partie sur la force musculaire des athlètes. Par contre, la plupart des sports d’endurance, comme la course à pied, le cyclisme et le ski de fond, ne sont pas caractérisés comme étant des sports où la force musculaire joue un très grand rôle dans la performance. Cependant, en est-il vraiment ainsi en ski de fond ?
Les contractions musculaires requises en ski de fond sont à une minime fraction de la force musculaire maximale. Bergh [1982] a démontré que la force nécessaire durant une contraction musculaire avec le pas alternatif ne représente qu’environ 10 à 20 % de la force maximale. Cependant, depuis l’avènement de la technique du patinage, la plupart des athlètes et des entraîneurs affirment que cette technique est beaucoup plus musculaire que les techniques traditionnelles. Les données recueillies jusqu’à maintenant démontrent effectivement que les forces appliquées aux bâtons lors du patinage sont de deux à quatre fois supérieures à celles observées avec les techniques classiques. Par exemple, les forces engendrées sur les bâtons en pas alternatif varient entre 10 et 25 % du poids du corps, alors que celles rencontrées en patinage varient entre 40 et 50 % du poids du corps, suggérant ainsi que la force musculaire du haut du corps est beaucoup plus importante avec les techniques de patinage. En ce qui a trait aux jambes, la force musculaire déployée par celles-ci lors du patinage est inférieure et se situe entre 1,2 et deux fois le poids du corps, alors qu’en pas alternatif cette force se situe entre 1,5 et trois fois le poids du skieur. Cependant, la durée d’application de la force en patinage est environ 70 % plus longue que celle du pas alternatif [pour le pas alternatif, la durée d’application de la force est d’environ 0,25 à 0,30 secondes].
Une récente recherche par Kelly [1990] chez des coureurs à pied de l’Université St. Cloud au Minnesota, où ces athlètes se sont entraînés en musculation pendant dix semaines, a démontré une augmentation de 17 % du VO2max des bras lors d’un test simulant le mouvement des bras comme en pas alternatif. Il a aussi démontré que le VO2max lors de la course sur tapis n’avait pas changé. Cependant, le temps d’exercice jusqu’à l’épuisement total est augmenté de 25 % après le programme d’entraînement de dix semaines, alors que des gains de 12 % furent observés lors d’un test combiné avec les bras et les jambes. Enfin, une énorme augmentation du temps d’effort de 400 % a été observée lorsque ces athlètes avaient à faire un test sur une planche à roulettes [roller-board]. D’un point de vue pratique, il semblerait que ce genre de programme de musculation ait été extrêmement bénéfique chez ces athlètes, bien que le VO2max lors de la course sur tapis roulant n’ait pas augmenté.
Quelques années auparavant, Brian Sharkey [1984], ex-physiologiste de l’équipe américaine de ski de fond, avait aussi suggéré que l’entraînement en force du haut du corps était avantageux pour un skieur de fond. Il avait observé chez des skieurs de fond de l’équipe américaine, qu’après un programme de douze semaines de musculation du haut du corps, que les athlètes furent capables de faire 50 à 70 % plus de travail sur la planche à roulettes, et ceci pour une même consommation d’oxygène. Il a suggéré que ce type de programme avait amélioré la force générée par chaque fibre musculaire impliquée dans l’activité. De plus, dû au fait que la force maximale de chaque fibre est augmentée, il a mentionné que pour faire une certaine activité, moins de fibres musculaires étaient impliquées, créant ainsi un repos pour les autres fibres adjacentes.
Récemment, Shorter et collaborateurs [1991] ont comparé quelques paramètres physiologiques chez un groupe de biathlètes [hommes et femmes] qui ne se sont pas qualifiés sur l’équipe nationale américaine versus ceux qui sont membres de cette équipe. Tous les athlètes ont été testés lors d’un test de VO2max où les bras et les jambes furent sollicités, lors d’un mouvement similaire au pas alternatif. Les auteurs n’ont trouvé aucune différence entre les deux groupes d’athlètes au point de vue du VO2max et du seuil de lactate. Le jour suivant, ce test de puissance aérobie [VO2max], tous les athlètes ont effectué un test de puissance où la double-poussée était à l’honneur. Les résultats ont démontré que les membres de l’équipe nationale avaient une plus grande puissance du haut du corps comparativement à ceux qui sont sur l’équipe de développement. Cette différence était de 60 % chez les hommes et de 45 % chez les femmes. Ces résultats démontrent que les skieurs membres d el’équipe de développement auraient avantage à augmenter leur force du haut du corps si ils ou elles veulent supplanter leurs compatriotes membres de l’équipe nationale.
Au début de cette année, Steven Gaskill m’a expédié quelques résultats de son projet de maîtrise à St. Cloud State University où il a démontré encore une fois l’apport de la force musculaire sur la performance en ski de fond. Il a démontré que sur les quatorze skieurs de son étude, sept on atteint leurs objectifs personnels, alors que les sept autres ne les ont pas atteints. Il a observé que les VO2max étaient semblables chez tous les individus, mais que les athlètes plus performants ont augmenté leur puissance musculaire de 3,02 à 3,33 W/kg lors d’un test de double-poussée entre les mois de septembre à janvier, alors que durant la même période, les autres athlètes ont passé de 3,13 à 3,12 W/kg. En tenant compte de ces deux études, il n’est pas surprenant que Ng et collaborateurs [1988] aient trouvé que la force musculaire est un déterminant important de la performance chez un groupe de skieurs régionaux aux États-Unis. Il serait donc important pour le skieur de fond d’essayer d’améliorer et sa puissance aérobie maximale [VO2max] et sa force musculaire.
Au cours des deux dernières semaines, j’ai commencé à teste les membres du Centre national Pierre-Harvey sur un appareil qui simule la double-poussée. Les résultats préliminaires semblent encore une fois démontrer que les meilleurs skieurs hommes sont ceux qui sont les plus forts lors du test de puissance. L’athlète le plus performant lors de ce test est aussi celui qui performe le mieux lors des courses, alors qu’en se fiant seulement à son VO2max, il ne devrait être que le troisième meilleur skieur. Les résultats finaux de cette étude seront peut-être discutés un peu plus tard dans la saison.
Un ex-membre de l’équipe canadienne de développement m’a affirmé, il y a quelques années, que le physiologiste de l’équipe nationale de ski de fond leur avait proposé de ne pas faire d’entraînement en force car cela aurait pour effet de diminuer la capacité aérobie des muscles et ainsi » CHANGER » les fibres musculaires de lentes à rapides. À ce que je sache, toutes les études sur le sujet n’ont jamais démontré que les fibres lentes peuvent se changer en fibres à contraction rapide avec un entraînement en force. Les pourcentages de fibres musculaires lentes et rapides sont déterminés très tôt lors du stage embryonnaire et sont donc très peu variables par la suite. Il n’y a donc pas d’effets négatifs pour un skieur de fond à augmenter sa force musculaire par un entraînement en musculation. Une étude du Finlandais Paavolainen [1991] a démontré qu’un programme de musculation de dix semaines jumelé avec un programme d’entraînement en endurance aérobie avait sensiblement augmenté la force chez ces skieurs, alors que le VO2max était demeuré le même. Le temps de travail pour un mouvement musculaire donné était augmenté de 22 % après ce programme d’entraînement en musculation. Encore une fois, les résultats de cette étude démontrèrent le bienfait de la musculation chez ces athlètes de niveau national finlandais.
Janvier 1994
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